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la sainte Vierge, les vertus de leur souverain et l’habileté de leurs cochers favoris.

Aux réjouissances hippiques se mêlaient aussi, sans perdre de leur majesté, les solennités les plus graves de la vie nationale. Entre deux triomphes de cochers, on triomphait des ennemis de l’empire. C’est là que Gélimer, roi des Vandales, après la perte de ses états, après la lettre qu’il écrivit à Bélisaire pour lui demander un morceau de pain, une cithare pour chanter ses malheurs et une éponge pour essuyer ses larmes, fut amené par le général vainqueur aux pieds de l’heureux Justinien. À l’aspect de ce peuple immense, de ces monumens, de cette splendeur impériale, le prince philosophe laissa tomber la célèbre parole : vanitas vanitatum et omnia vanitas ! C’est encore dans l’hippodrome qu’au Xe siècle on célébrait les triomphes sur les Sarrasins ; dans l’arène immense, en présence de tout le peuple siégeant sur ses gradins, défilait l’interminable cortège des émirs prisonniers, des chariots chargés de dépouilles, des enseignes, des queues de cheval surmontées du croissant, des machines enlevées à l’ennemi. À un signal donné, les prisonniers étaient forcés de se prosterner dans le sable ; les soldats byzantins renversaient dans la poussière les étendards musulmans, le prince foulait de son brodequin de pourpre brodé d’aigles d’or la tête rasée des émirs captifs. Alors sur les gradins des factions, au son des orgues d’argent, éclataient les hosannas et les chants de victoire : « Gloire à Dieu qui a triomphé des Agarènes ! gloire à Dieu qui a détruit les villes des Arabes ! gloire à Dieu qui a confondu les détracteurs de la Vierge, mère du Christ ! » Cependant l’implacable cruauté n’était guère dans le caractère byzantin. On traitait humainement ceux qu’on humiliait, et après cet abaissement de l’islamisme dans la personne des prisonniers l’empereur les autorisait à s’asseoir aussi sur les gradins pour contempler les courses de chars. Ce n’étaient pas les Romains chrétiens d’Orient qui auraient jeté le Vercingétorix gaulois dans le Tullianum pour le livrer, après six ans de captivité, à la hache du licteur. Ils n’avaient plus la froide cruauté du premier des césars, ni son génie.

Dans l’hippodrome byzantin, il y avait encore des tribunaux où se pressaient les plaideurs, et la fronde ou la coupe du cirque était le lieu marqué pour l’exécution des sentences criminelles, la place de Grève de Constantinople ; c’était dans ce lieu, qui semblait consacré exclusivement à la joie, que le bourreau imprimait le fer rouge sur la chair des condamnés, qu’il brûlait les yeux, coupait les nez ou les oreilles, abattait les têtes. Quand la querelle des iconoclastes eut amené les empereurs à recourir contre les orthodoxes aux persécutions et aux supplices, on vit des patriarches promenés, aux