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de la Syrie, de l’Égypte, apportant à Constantinople les trésors et les denrées précieuses du monde entier, — les barques légères des Dalmates et des Croates, moitié négocians, moitié pirates, — les esquifs aventureux des Russes, qui avaient descendu le Dnieper malgré ses cataractes, malgré les flèches des Petchenèques, et venaient échanger leurs fourrures contre les étoffes byzantines. Ces barbares jetaient à la dérobée des regards investigateurs sur les hautes tours et les puissans remparts de la cité, car beaucoup venaient en marchands, qui se proposaient de revenir en conquérans. C’étaient les cyprès, les sycomores, les lointaines montagnes, les châteaux de plaisance de la côte d’Asie ; c’étaient les flots resplendissans sous les rayons du soleil, c’était un ciel si pur qu’au témoignage d’un voyageur on distinguait du promenoir de l’hippodrome non-seulement les vaisseaux, mais jusqu’aux dauphins qui se jouaient à la surface des eaux. Au nord, c’étaient les toits argentés, les coupoles dorées, les grands arbres, les portes d’airain du Grand-Palais : c’était la grande place de l’Augustion, toute peuplée de statues, au milieu desquelles se dressait un Justinien à cheval, couronne en tête, le globe du monde dans la main, arrêtant brusquement son coursier, étendant la main vers l’Orient, comme pour repousser les hordes barbares au-delà de l’Euphrate ; c’était surtout cette merveille de Sainte-Sophie avec sa coupole étincelante d’or, portée sur d’autres dômes de bronze doré, et élevant à une hauteur prodigieuse dans les airs la croix byzantine. Puis la vue s’étendait sur cette immense capitale, héritière, du monde grec et du monde romain, métropole du commerce et de la civilisation européenne et asiatique, la seule ville policée des deux continens. Sans doute, bien des masures, de fétides et ténébreux quartiers populaires la déparaient ; mais du haut de l’hippodrome le regard plongeait dans de vastes voies bordées de portiques, s’éblouissait du miroitement de tant de centaines de coupoles, s’étonnait à la vue de ces arcs de triomphe, de ces colonnes de bronze, sur les flancs desquelles montaient en spirale des processions de légionnaires romains, de captifs barbares, de sacrificateurs conduisant les grands bœufs. De cette splendide Constantinople du VIe et du Xe siècle, de ces palais, de ces temples, de ces obélisques, rien ne reste aujourd’hui ; les incendies, les révolutions et les tremblemens de terre ont détruit jusqu’aux ruines, supprimé jusqu’aux vestiges des ruines.

Sur la spina de l’hippodrome, sous les portiques, sur le promenoir élevé, partout des statues. La Grèce de Phidias et de Périclès, Athènes, — la Grèce d’Asie, Cyzique, Tralles, Chios, Iconium, — la Grèce des Hiéron et des Denys, Syracuse, — la Grèce des Ptolémées, Alexandrie, voyaient rassemblé dans Constantinople tout ce qu’elles avaient possédé de rare et de précieux. Rome même s’était vu dé-