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temps de guerre, devait servir, s’il était riche, dans la cavalerie, s’il était pauvre, soit dans l’infanterie, soit sur la flotte comme rameur. En temps de paix, il était tenu de connaître assez les intérêts, les affaires et les lois de son pays pour suivre les discussions sur le Pnyx, pour voter en connaissance de cause, et présider comme proëdre l’assemblée, comme prytane le sénat, comme archonte le jury : toutes fonctions pour lesquelles on était désigné par le sort. Chacun devait avoir une opinion politique. Se désintéresser de la chose publique, comme on l’a fait chez nous trop longtemps, eut paru une trahison. Solon lui-même avait ordonné à tout citoyen de prendre parti dans les discordes civiles. Il en était de même pour les luttes judiciaires. Athènes, pas plus que Rome, ne connaissait l’institution du ministère public; par exception seulement, dans certains cas de haute trahison, comme dans le procès d’Antiphon, quelques orateurs pouvaient être chargés de réclamer au nom de l’état le châtiment du coupable. Dans le cours ordinaire des choses, ce n’étaient pas seulement les magistrats qui étaient chargés de veiller à l’exécution des lois; tout particulier devait aussi relever et poursuivre devant les tribunaux les délits qu’il voyait commettre. Sur le champ de bataille, c’était avec l’épée et le bouclier que le citoyen repoussait l’étranger. Dans la cité, il devait se servir de la parole pour attaquer l’ennemi de l’intérieur, le violateur des lois; c’est par la parole qu’il devait se défendre contre d’injustes accusations.

Sans doute il n’aurait pu venir à la pensée de personne d’exiger de chaque citoyen des talens militaires ou de l’éloquence. La cité, qui, pendant deux ans, soumettait à des exercices communs les éphèbes ou jeunes gens, ne se chargeait guère à cette époque d’autre chose que d’assouplir et de fortifier leur corps par la gymnastique; elle les envoyait ensuite pendant une autre année faire l’apprentissage de la vie militaire en tenant garnison dans les forteresses de l’Attique et en campant sur la frontière. C’était là peut-être, avec quelques élémens d’écriture, de lecture et de musique, toute l’éducation publique; ce que nous appelons l’instruction était abandonné à l’initiative privée. Allait qui voulait et qui pouvait chez les grammairiens, avec qui l’on étudiait les poètes, ou chez les maîtres de dialectique et de rhétorique. La rhétorique, avec sa prétention hautement avouée de persuader aux hommes tout ce que l’on avait intérêt à leur faire croire, était trop suspecte au peuple pour que la cité en prît l’enseignement sous son patronage; elle était trop subtile, trop raffinée, pour s’adresser à d’autres qu’aux gens de loisir, déjà préparés par une première culture littéraire. Aux citoyens qui avaient assez d’argent pour payer les maîtres qui