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belle que le peuple français ce long repos d’un siècle? A cela nous répondrons que la nature n’a nul souci de savoir si le peuple français est ou n’est pas mobile, et que la logique des choses veut que ses lois soient exécutées, que ces lois nous plaisent ou non. La sagesse d’une nation consiste précisément à reconnaître quelles sont les conditions qui lui sont nécessairement imposées par les circonstances de son origine et de son âge, le caractère de ses élémens, et à s’y conformer; mais, si par hasard elle refuse d’obéir à ces lois parce qu’elles contrarient ses passions et qu’elle préfère en établir d’arbitraires qui flatteront davantage ses caprices, ces lois nécessaires n’en recevront pas moins leur exécution, dût tout un peuple leur être contraire. Les puissances métaphysiques qui gouvernent le monde n’ont rien à craindre des multitudes hostiles : il n’y a pas de minorité factieuse qui puisse les intimider, ni de majorité dont l’ordre leur fasse suspendre leurs résolutions.

En renversant le trône de juillet, la révolution française se retira donc à la fois toute sécurité et tout moyen d’affermissement. Elle agit à peu près avec la prudence d’un homme qui, pour assurer à son action plus de liberté, commencerait par se retrancher le toit qui abrite sa tête et le plancher qui soutient ses pieds. Elle avait cause gagnée aux yeux du monde, elle se remit volontairement en question ; les hostilités qu’elle avait soulevées étaient les unes éteintes, les autres endormies, elle ressuscita les premières et réveilla les secondes; les contradictions et les critiques qu’elle avait eu à subir s’étaient usées à force de se répéter ou s’étaient tues à force d’être démenties, elle leur donna raison rétrospectivement et leur rendit une valeur en quelque sorte posthume. Dans la vie réelle, nous taxerions d’insensé l’homme qui, sous prétexte de rester fidèle à son origine, voudrait revenir à son point de départ en se privant de tous les bénéfices acquis depuis le moment où il se serait mis en route: c’est cependant à peu près ainsi qu’agit la révolution française lorsque pour la seconde fois elle proclama la république, morte jadis sans avoir éveillé un seul regret. Cette origine, dont elle se rapprocha tout à coup si violemment, la prudence cependant lui aurait conseillé de laisser au temps le soin de l’embellir par ces procédés de transformation dont il partage le secret avec la distance. Le temps aurait adouci de ses teintes délicates les couleurs trop crues, attendri ce qui était trop violent, changé en mélancolie ce qui était amertume; tout ce qui était crime, il l’aurait effacé; tout ce qui était vertu, il l’aurait au contraire fait resplendir. Ajoutez enfin que toute société issue d’une révolution a le plus grand intérêt non-seulement à faire oublier ses origines, mais à s’en éloigner le plus possible, car pendant qu’elle en est encore