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tant la faute des chefs militaires, quoiqu’ils n’eussent pas tous certainement le même feu, la même expérience ; ce n’est pas trop non plus la faute des soldats, quoiqu’ils fussent bien peu organisés, bien peu disciplinés. Il faut en venir à la vraie cause de nos désastres en province. Cette cause éclate dans les pages du général Chanzy, qui s’est montré, quant à lui, un si énergique et si habile capitaine. Que voulez-vous ? les chefs militaires n’étaient rien, M. Gambetta était tout ; c’est lui qui commandait et qui prétendait décréter la victoire. Vainement les généraux lui représentaient qu’il était dangereux d’aller se jeter sur toute l’armée allemande en avant d’Orléans ; l’ordre était formel, on se battait, et l’armée de la Loire était coupée en deux. Le général Chanzy, livré à lui-même et se battant avec la plus héroïque opiniâtreté pendant quatre jours, avait beau demander qu’on fît au moins une démonstration sur la Loire, on lui répondait que c’était impossible. Lorsque, tardivement informé de la marche de Bourbaki sur l’est, il démontrait le danger de ce mouvement et suggérait d’autres opérations qui auraient porté toutes les armées sur Paris, on lui répondait en vantant beaucoup son plan, mais en se faisant un mérite d’en avoir un meilleur. Lorsque enfin le général Chanzy rappelait que le général Trochu avait fixé la date du 20 janvier comme dernière limite de la résistance de Paris, on lui disait, et ceci est grave, qu’il ne fallait pas tenir compte des indications du général Trochu, qu’on avait d’autres renseignemens. Et le grand stratégiste qui prétendait ainsi conduire nos armées était homme à prendre Épinay sur la route d’Étampes pour Épinay près Saint-Denis, tout comme dans une autre circonstance il prenait Bar-sur-Seine pour Bar-le-Duc ! Voilà où nous en étions. Si M. Gambetta conduit ses campagnes parlementaires comme il a conduit ses campagnes militaires, la gauche peut se mettre sous ses ordres pour marcher à la victoire.

M. Gambetta ne nous croirait pas, si nous lui disions un mot bien vrai, bien sincère, et cependant ce serait son intérêt de nous croire. L’ancien et éphémère dictateur de Bordeaux n’est point à coup sûr dénué d’un certain souffle, d’une certaine ardeur entraînante, d’une assez grande vigueur d’imagination. Malheureusement, il l’a bien montré, il ne sait des affaires que ce qu’en sait un avocat qui a feuilleté son dossier ; il est trop souvent exposé, en politique comme dans les affaires militaires, à prendre Bar-le-Duc pour Bar-sur-Seine, et, puisqu’il avait récemment la bonne fortune d’être à Saint-Sébastien, il aurait dû y rester encore, il aurait dû y passer un an pour apprendre ce qu’il ne sait pas et mettre ses connaissances au niveau du rôle qu’il ambitionne. S’il ne se livre pas à ce travail, il risque fort d’être un agitateur vulgaire, — un type assez réussi et infécond d’une certaine médiocrité bruyante et prétentieuse. Il est peut-être fait pour un autre rôle, s’il le veut. Ah ! quand on regarde derrière soi au courant de cette terrible