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LETTRES FAMILIÈRES
D’UN MARIN
II. — 1848-1851[1]


À bord de la frégate la Reine-Blanche,
le 15 septembre 1848. Rade de Bombay.


Je n’ai pas reçu le moindre petit avis, soit direct, soit officiel, sur mon remplacement. Je suis aujourd’hui exactement comme il y a six mois. J’ai voulu venir ici parce que j’avais besoin de savoir ce qui se passe en France. À Bourbon, nous étions au milieu d’une incertitude étouffante ; les nouvelles qui nous arrivaient tous les jours étaient si vagues, si contradictoires, si alarmantes, qu’il n’y avait plus moyen de tenir ; il semblait que la France fût plongée dans une abominable anarchie et livrée à des bandits. Enfin nous respirons un peu : toute civilisation n’est pas encore éteinte en France. Nous nous croyions menacés d’une invasion de barbares ; mais l’aspect de cette assemblée nationale n’est pas encore rassurant : la république nous paraît tituber, il nous semble qu’elle est bien peu dans les mœurs et les besoins de la France. Et pourtant nous n’apercevons aucun homme de cœur et de talent pour nous tirer du gâchis où nous allons tomber. À l’allure de gaspillage qu’adopte l’assemblée, il est évident que l’état sera obligé de suspendre incessamment ses paiemens ; c’est la crise financière qui amènera la vraie crise politique. Tout ce qui s’est passé depuis février ne nous inspire que dégoût et horreur. Le roi semble avoir été frappé de

  1. Voyez la Revue du 15 août.