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LETTRES D’UN MARIN.

suivre. Ainsi nous entrons dans une voie de révolutions et de batailles.

Ah ! la France s’ennuyait. Eh bien ! elle va avoir des drames pour se distraire, nous ne faisons que commencer. S’il ne s’établit pas bientôt un bon et rude despotisme pour fouetter la France tous les matins, nous nous entre-déchirerons. Je ne me rends pas bien compte de la conduite de M. de Lamartine et des motifs qui l’ont rendu incompatible à tous les partis. Je me tiens prêt à retourner en France dès que j’en aurai reçu l’ordre ; sera-ce avec ma frégate ou abord d’une gabare ? Sera-ce comme passager ou comme commandant ? J’espère qu’ils n’auront pas eu la bassesse de songer à me rappeler comme passager, car j’ai le droit de porter le front haut et fier. Je ne souffrirai pas la moindre insulte ; je suis parfaitement résolu, quoi qu’il arrive, à conserver l’énergie de mon langage tout comme celle de mon âme. Malheureusement c’en est fait de notre marine : dans un an, l’argent nous manquera, les armemens seront considérablement diminués, car c’est une chose chère que la flotte ; mais tout cela n’est pas une raison pour se dégrader personnellement. Que vais-je retrouver en arrivant en France ? Si vous me répondez à Bombay par le courrier de l’Inde du 24, je pourrai recevoir votre lettre ; donnez-moi des détails sur ce qui se passe. Nous avons bien des journaux, je les trouve d’une étrange pâleur : le National lui-même me semble tomber en déconfiture. Enfin j’ai perdu le fil des événemens ; les hommes et les caractères m’échappent, je ne vois plus les ficelles de la coulisse. Si j’avais le Journal des Débats, à son ton, à son langage, je devinerais bien des choses ; mais le National devenu journal ministériel ! et défendant timidement la république ! c’est à n’y plus rien comprendre. Je n’écris pas à M. de La Grange par ce courrier-ci : je vous prie de lui donner de mes nouvelles. Vous voyez que mon esprit n’est pas abattu, je me sens des forces pour la patrie, et je veux les aller dépenser là. — En me rendant ici, je me suis vu repris aux Seychelles d’une atteinte de coliques végétales ou sèches qui m’a fait bien souffrir ; je suis resté huit jours au lit, au lieu d’aller courir les forêts de l’île et les curiosités naturelles qu’on y trouve. Les bains chauds, très chauds, m’ont guéri. J’y ai sué sang et eau. La transpiration m’a couvert de ce qu’ils appellent ici des bourbouilles ; c’est le cachet de la bonne santé, et en effet depuis ce moment je me porte bien. Je suis ici en pays de connaissance : j’y ai eu autrefois bien des distractions et des plaisirs ; je les retrouverais encore, si je pouvais, dans l’état de convulsions où est aujourd’hui mon pays, chercher des distractions et des plaisirs. Je n’ai jamais compris ces bals des victimes de la révolution. Quel