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dont l’histoire nous a depuis présenté bien des reproductions agrandies ou réduites. Plus entreprenant que hardi, plus insubordonné qu’indépendant, d’un esprit plus chimérique que novateur, il n’avait ni des talens assez exceptionnels, ni une situation assez importante pour arriver dans sa ville à la suprématie, les choses demeurant dans leur ancien état. Trop orgueilleux et trop impatient pour être l’homme de ces intrigues et de ce savoir-faire qui sont les moyens des ambitieux médiocres en temps ordinaire, Rothmann chercha près des classes qui lui étaient fort inférieures en éducation et en lumières le crédit et la puissance qu’il ne pouvait obtenir dans une sphère plus relevée. Il se fit l’apôtre et l’inspirateur des gildes. On le retrouve à la tête de toutes les émeutes que ces corporations préparent contre l’autorité. C’est par la popularité qu’il domine, et de peur de la perdre il ne veut jamais se laisser dépasser dans les idées de réforme, qui montent incessamment comme une marée sous le souffle des doctrines nouvelles. Quand le catholicisme règne à l’hôtel de ville, il est luthérien ; quand le luthéranisme l’emporte, il est zwinglien ; quand Munster adopte une constitution ecclésiastique dont les principes se rapprochent fort de ceux des sacramentaires, il se fait anabaptiste, et quand l’anabaptisme dégénère en mie théocratie extravagante et cruelle où l’Apocalypse prend la place de l’Évangile et un obscur imposteur celle de l’évêque et du sénat, on le voit se déclarer en faveur du prétendu prophète et se faire complice des monstruosités qui déshonorent la ville. Il avait cru diriger le char de la révolution religieuse dans Munster parce, qu’il s’était attelé à cette redoutable machine ; mais c’est par derrière que sont les hommes qui la poussent. Rothmann ne fait qu’obéir aux impulsions qui lui arrivent de l’étranger ; il accélère sa marche pour ne pas être culbuté par ce qu’il traîne après lui. Vaine précaution ! un jour devait arriver où, lancé à toute vitesse dans une voie sans issue, le char irait se briser contre la base indestructible de la société humaine, qu’il n’a pu réussir à ébranler, écrasant dans sa chute les insensés et les fanatiques qui le montaient. Telle fut la dernière phase de l’anabaptisme, ou plutôt de ce grand mouvement religieux radical dont le centre se transportait à Munster par la conversion de Rothmann aux principes que Melchior Hofmann avait prêches en Westphalie et dans les Pays-Bas. La cité épiscopale devient, à partir de ce moment, le quartier-général des forces révolutionnaires, et l’insurrection, naguère vaincue en Thuringe et sur les bords du Rhin, s’y relève pour tenter un effort suprême et désespéré.

Alfred Maury.