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C’est peut-être encore assez innocent, quoique passablement puéril. Ce qui est moins inofîensif, ce qui peut même être dangereux, c’est de se laisser aller, par une imprévoyante ardeur de polémique, à soulever les questions les plus délicates, les plus inopportunes, au risque de compromettre l’intérêt le plus grand du pays. Où est la nécessité de susciter ce qu’on pourrait appeler la question de Belfort ? Voilà quelque temps déjà qu’on s’acharne à cette affaire avec toute sorte d’interprétations et d’interrogations, toutes plus pressantes et peut-être plus dangereuses les unes que les autres. Que font les Prussiens à Belfort ? Les fortifications qu’ils construisent sont-elles dans leurs droits, dans les droits de la guerre dont ils usent et abusent ? Ne révèlent-elles pas la pensée secrète d’un établissement plus définitif ? Que fait le gouvernement pour défendre l’intérêt de la France ? S’est-il seulement assuré des alliés pour l’aider à soutenir sa cause ? Quand on agite ces questions brûlantes, on le fait sans doute dans les meilleures intentions, par un sentiment de prévoyance ou de crainte patriotique. On ne voit pas cependant qu’on risque de faire plus de mal que de bien en admettant un doute là où il ne peut pas y en avoir. Quoi donc ? est-ce qu’il existe une question de Belfort ? Les engagemens dictés, imposés parle vainqueur lui-même, peuvent-ils être sans valeur pour celui qui les a souscrits dans la plénitude de la victoire ? Est-ce qu’il est possible d’admettre comme base de discussion que les Prussiens songent à se délier de leurs obligations en restant là où ils n’auront plus le droit de rester le jour où ils auront reçu l’indemnité de guerre qu’ils nous ont infligée ? La dernière convention négociée avec l’Allemagne n’en a rien dit, et elle ne devait en rien dire ; la moindre parole de nos négociateurs sur ce point eût été une imprudence, une marque d’incertitude. Allons plus loin. Quand même il serait vrai que les Allemands eussent une arrière-pensée, qu’ils voulussent, sinon garder Belfort définitivement, du moins prolonger leur séjour dans un prétendu intérêt de sécurité, est-ce qu’on croit porter un secours bien efficace au gouvernement par des polémiques intempestives ? Sait-on quel est encore pour la France le meilleur moyen de maintenir ses droits ? C’est de remplir jusqu’au bout, avec une courageuse résignation, les engagemens qu’elle a dû subir, de ne fournir à l’Allemagne aucun prétexte de manquer à ceux qu’elle a pris ; c’est de ne pas se livrer en face d’un ennemi tout-puissant à des discussions qui ne peuvent que l’exciter sans le désarmer, et surtout de ne point offrir à la Prusse l’occasion de se croire fondée ou intéressée à réclamer des garanties nouvelles contre des menaces d’agitations révolutionnaires.

La meilleure des politiques est de traiter sérieusement les choses sérieuses, de se défendre de ce système d’agitations factices, de déclamations arbitraires, de polémiques inutiles ou périlleuses dont le pays porte la peine sans y participer, car le pays n’y est pour rien cer-