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pulvérisée, ses armées régulières coupées, cernées et captives, ses généraux paralysés par une stratégie qui surprend et déconcerte leur courage. Elle se flattait, on la flattait d’une de ces grandes marches soudaines qui la portaient autrefois sur le sol ennemi, dans les capitales européennes, et au premier choc elle voit ses frontières rompues, ses provinces livrées à l’implacable invasion qui déborde sur son territoire, ses villes assiégées et tombant l’une après l’autre. C’est l’histoire de 1806, d’Iéna, qui recommence, et cette fois contre la France. Quoi encore ! le premier auteur de la guerre, l’empire tombe, la république naît au coup de tocsin de Sedan, et alors par une dernière illusion, on se figure du moins qu’on va pouvoir opposer à l’envahisseur les levées en masse, les armées improvisées, les murs inexpugnables de Paris ; mais non, tout est inutile, la résistance est vaincue jusque dans ses derniers retranchemens, jusque dans ses derniers efforts, et il ne reste plus qu’à rendre les armes, à subir la poignante nécessité d’une paix achetée au prix d’un démembrement, d’un déchirement de l’indissoluble territoire de France. Comment cette tragédie militaire et nationale s’est-elle accomplie ? Comment a-t-elle été possible ?

Rien n’est plus simple, dit l’un, le premier de tous, celui qui s’efforce aujourd’hui de relever la France et de lui refaire une armée, — ce qui est arrivé est la suite de toutes les fautes qui ont été commises.

Première faute, on s’est jeté étourdiment, précipitamment, dans une guerre pour laquelle on n’était pas prêt, sans même se donner le temps de rassembler, d’organiser les forces dont on aurait pu disposer, qui en quelques semaines auraient pu doubler nos contingens. On est parti en désordre avec des régimens incomplets, au milieu de toutes les difficultés d’une formation fiévreuse, d’une mobilisation bien plus compliquée que celle de la Prusse. Seconde faute, on n’a pas eu même le bénéfice de cette apparente rapidité ; on est resté vingt jours à piétiner sur place, avec des corps insuffisans, mal liés, disséminés de Thionville à Belfort, sans prendre une position militaire, en face d’un ennemi qui s’avançait en masse, prêt à s’enfoncer comme un coin dans nos lignes débiles. Troisième grande faute, après des revers qui auraient dû être un avertissement, on n’a pas su prendre un parti et se replier ; avec une armée nouvelle formée en toute hâte, déjà démoralisée, on a cru pouvoir aller se jeter sur des armées victorieuses qui manœuvraient autour de nous, sur « la muraille d’airain » qui d’heure en heure étreignait Metz, — on est allé à Sedan ! Dernier malheur enfin, on avait joué le tout pour le tout dès le premier jour ; à partir de ce moment, la France a pu résister encore avec courage, elle ne pouvait plus se