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qu’après une pénible lutte intérieure qu’il se croyait obligé de refuser. « Nous jouons la dernière carte de notre malheureux pays, répondit-il ; il nous faut éviter tout ce qui pourrait donner prétexte à une agitation quelconque en présence de l’ennemi. » Le prince serra la main du général en silence, et partit, pour se retrouver cinq jours après, obscur et inconnu, à la défense des batteries d’Orléans.

Heureux ou malheureux en effet, le combat de Beaune-la-Rolande ne pouvait plus être considéré que comme une sorte de prologue d’une action imminente, tant les événemens se pressaient tout à coup. On était encore sous l’impression de ce qui venait de se passer le 28, lorsque le 30 on recevait à Tours la nouvelle que ce jour-là même ou peut-être la veille l’armée de Paris avait dû tenter une grande sortie sous les ordres du général Ducrot, qui se proposait de se diriger sur la forêt de Fontainebleau. Aussitôt M. de Freycinet donnait rendez-vous pour le soir aux principaux chefs de l’armée au quartier-général de Saint-Jean-de-la-Ruelle, aux abords d’Orléans, et il arrivait avec M. De Serre à neuf heures. C’était le conseil de guerre décisif. Il s’agissait toujours de cette marche sur Pithiviers qu’on venait d’essayer, mais qui devait être reprise cette fois d’une autre manière, dans de plus vastes proportions et sans plus de retard. Les généraux, en présence des nouvelles de Paris, ne méconnaissaient pas la nécessité d’agir ; seulement ils demandaient d’abord et avant tout qu’on ne laissât pas l’armée dans l’état d’éparpillement où elle était, qu’on exécutât le plus rapidement possible une concentration indispensable. C’était à leurs yeux la première condition de succès. On finit par leur dire qu’il n’y avait plus à discuter, que c’était l’ordre du ministre, — à quoi le général Chanzy aurait répliqué, assure-t-on, que ce n’était point alors la peine de les réunir, qu’il n’y avait qu’à leur envoyer leurs instructions par la poste. Puisqu’il y avait en effet un ordre formel, impérieux, il ne restait plus qu’à l’exécuter, et le grand, le terrible drame allait commencer.


IV

Dans quelles conditions se trouvait-on à ce moment décisif ? Il faut se représenter cette situation pour comprendre ce qu’il y avait de prudence dans les observations des généraux. Le grand-duc de Mecklembourg venait d’arriver à portée d’Orléans, et le prince Frédéric-Charles, qui avait désormais le commandement de l’armée allemande d’opération tout entière, n’était point homme à rester inactif ou à négliger les occasions qu’on pourrait lui offrir. De notre côté, l’armée était certainement considérable, mais elle s’étendait