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des fidèles et des impies, il la poussait jusque dans la tombe, et les restes des élus ne devaient point reposer dans les mêmes cimetières où étaient enterrés ceux qui avaient ignoré ou méconnu la parole de vérité. Les envoyés de Mathys ayant pris possession de Münster, c’était aux adversaires de leur foi à se retirer, et Bockelsohn et ses adeptes annonçaient qu’il fallait que la ville fût purifiée de la présence de ces méchans, ce qui signifiait qu’on devait recourir contre eux à la force.

Rothmann s’émut de tels principes, il hésita d’abord à s’y conformer; il ne pouvait notamment admettre que l’Évangile ne dût plus être enseigné à tous, et il continuait ses prédications dans l’église Saint-Servais. Peut-être même aurait-il déserté le camp des anabaptistes plutôt que de renoncer à ses plus chères habitudes, si le chemin de l’exil ne lui eût pas été fermé. L’évêque venait en effet de refuser au landgrave le sauf-conduit nécessaire à Rothmann. Celui-ci était ainsi exposé, une fois hors de la ville, à se voir emprisonné, car les ordres les plus rigoureux avaient été rendus par le prélat contre les adhérens de l’anabaptisme. La retraite était donc coupée à l’ancien chapelain de Saint-Maurice; il se jeta de désespoir dans une mêlée où il n’allait plus guère figurer que comme un simple soldat. Le 25 janvier 1534, il déclara solennellement en chaire qu’il cesserait de prêcher la parole aux infidèles. D’ailleurs la populace, qu’il avait si souvent ameutée contre le sénat et les autorités municipales, commençait à le délaisser pour Bockelsohn. Il ne se trouvait plus seulement au milieu d’artisans et de petits bourgeois désireux d’abattre l’aristocratie qui les avait si longtemps dominés, mais de farouches sectaires ne respirant que meurtre et carnage. Et pour conserver encore son crédit, il dut prendre le langage furieux de ces fanatiques et se faire l’écho de leurs extravagances. Une partie des anabaptistes de Münster, arrivés de la veille, ne pouvaient éprouver pour Rothmann les sentimens qu’il avait inspirés aux hommes des gildes et à la classe pauvre de Münster. La ville se remplissait d’émigrés des Pays-Bas qui juraient par un autre maître spirituel. Elle prenait une physionomie de plus en plus différente de celle qu’elle avait présentée naguère. Sur les routes qui y aboutissaient, dans la direction de la Frise et de la Hollande, on rencontrait de distance en distance des individus à l’air égaré, à la mine sombre, que leur costume faisait reconnaître pour des étrangers venus de cantons lointains; ils marchaient en silence et semblaient obéir à un mot d’ordre. Parfois on entendait la détonation d’un mousquet; c’était le signal convenu auquel se réunissaient ces voyageurs mystérieux quand ils s’approchaient de leur destination. Ils s’acheminaient vers la nouvelle