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infraction aux lois. Van Wy et quelques-uns de ses coreligionnaires eurent la tête tranchée, et Van Scellincwoude ne put non plus se soustraire à la justice de la cour de Hollande. Toutefois les communautés anabaptistes étaient trop éparses pour opérer avec ensemble et réunir des forces suffisantes pour délivrer Münster. De plus, la division commençait à s’introduire parmi elles. Les sectaires néerlandais étaient loin de s’entendre sur les points essentiels de la doctrine. Chacun suivait un peu ses idées particulières, et, échappant à la tyrannie qui courbait en Westphalie tous les fidèles sous la volonté du prophète, ils manquaient de direction théologique. Par compensation, les anabaptistes des Pays-Bas se préservaient des extravagances que Mathys et Bockelsohn avaient fait accepter dans Münster. Ils repoussaient notamment la polygamie, et, dans leur aversion pour les monstruosités qui se produisaient dans cette cité, beaucoup se refusaient à lui porter secours.

Cependant Bockelsohn se croyait plus que jamais investi de la toute-puissance; il songeait à en assurer l’exercice sur le monde entier. Il allégua une nouvelle révélation de Dieu, qui lui ordonnait d’expédier les messagers de sa royauté dans les diverses régions de l’univers. Il chargea en conséquence vingt-huit apôtres d’aller annoncer en tout lieu l’avènement du roi de Sion.


III.

Une fermentation sourde régnait alors dans les classes inférieures d’un grand nombre des villes de l’empire. La prédication anabaptiste avait ravivé chez le peuple les aspirations un instant comprimées par la victoire remportée sur les paysans. Les idées naguère représentées par Storch et Münzer reprenaient faveur, grâce à la nouvelle forme que les écoles de Zurich, de Moravie et de Strasbourg leur avaient donnée; elles s’insinuaient chez une foule d’esprits en quête de réformes plus radicales que celles de Luther et de Zwingli. Protégés par quelques personnages puissans, les sectaires étaient parvenus à maintenir çà et là leurs communautés. En Prusse notamment, favorisés par Frédéric de Heideck, en grand crédit près du duc Albert, ils étaient tolérés. Une fraction de la noblesse inclinait même à leurs doctrines, que venaient de propager deux apôtres arrivés de la Silésie. Les fidèles que la persécution avait contraints de quitter la Moravie s’étaient établis en Prusse, et leur présence y augmentait les forces de la secte. En Saxe, la vallée de la Werra se remplissait des adhérens de l’anabaptisme, et il était parti d’Erfurt jusqu’à 300 missionnaires pour le répandre au cœur de l’Alle-