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IV.

Quand, au lieu d’être le privilège des hommes dont l’éducation et les lumières garantissent l’aptitude et la probité, les fonctions de l’état sont livrées aux caprices d’une multitude incapable d’apprécier les mérites et que domine la passion ou l’engouement, les charlatans et les fanfarons de désintéressement et de patriotisme s’emparent des emplois. Les gens sincères et vraiment honnêtes refusant de s’abaisser aux menées misérables et aux démarches honteuses à l’aide desquelles on capte d’ordinaire les suffrages de la foule, les imposteurs politiques et les intrigans de bas étage ou de bas sentimens amorcent le peuple par des professions de foi bruyantes et des promesses menteuses. On tombe ainsi dans une ochlocratie qui amène au pouvoir des citoyens sans valeur ou décriés, des ambitieux qui, n’ayant pu s’avancer par un travail régulier et persévérant, par des services réels et des qualités solides, cherchent fortune dans l’arène troublée des compétitions démagogiques. Le succès est au parleur le plus téméraire et le plus exagéré, à la brigue la moins scrupuleuse et la plus effrontée. Ce tableau, que nous mettent trop souvent devant les yeux les descendans des austères puritains et des fiers cavaliers émigrés au Nouveau-Monde, chez lesquels le mensonge et l’audace sont presque devenus des traits distinctifs du caractère national, ce tableau, auquel notre France, si elle n’y prend garde, pourrait aussi fournir quelques couleurs, était celui que, sous un autre jour, offrait au XVIe siècle une partie de la société protestante. Ce n’était pas sur des matières de législation et d’économie politique que l’on voyait appelés à décider des hommes sans instruction et sans expérience, ils prononçaient sur des matières de foi, moins accessibles, encore à l’intelligence des masses. Tout ce qui tenait aux dogmes et à la discipline ecclésiastique était réglé non par l’assemblée imposante des représentans les plus élevés du clergé, mais par une population, une agrégation d’hommes absolument étrangère à la théologie et que dominaient des passions violentes et haineuses. Des bourgeois, des marchands, des ouvriers, étaient institués juges des questions métaphysiques les plus obscures et des vérités les plus sublimes. Ils votaient sur l’adoption ou le rejet d’une institution religieuse et d’une liturgie, comme ils l’auraient fait sur un nouvel impôt à lever, une route à exécuter, une halle à construire. Devant un tel tribunal, rarement l’avantage était pour la science la plus profonde, la vertu la plus austère, le sens le plus droit. Cette foule ignorante et prévenue se laissait convaincre ou plutôt entraîner par des prédicans