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lations officielles unissaient nos deux personnages : engagés l’un et l’autre dans le parti de Mme  de Pompadour, intéressés à sa gloire, dévoués à sa fortune, la conformité des vues, l’accord des ambitions, la convenance naturelle de deux esprits bien faits, avaient formé entre le ministre et l’ambassadeur un de ces liens d’honneur et d’amitié qui ne résistent jamais longtemps aux infidélités de la politique. Il s’établit donc, en ce moment rapide de bonne intelligence et de réciproque loyauté, un double échange de communications entre Bernis et Choiseul : ce que le ministre ne saurait dire à l’ambassadeur dans ses dépèches, il le confie à l’ami dans ses lettres secrètes et lui ouvre son cœur.

Ces lettres particulières, rassemblées en un beau volume manuscrit, sont aux archives réservées des affaires étrangères ; nous devons au savant et bienveillant directeur des archives, M. P. Faugère, d’avoir pu les consulter. Elles devancent de six mois la correspondance officielle, dont on trouvera les copies avec quelques lacunes aux manuscrits de la Bibliothèque nationale. La première lettre est datée du 20 janvier 1757 : Choiseul est en Italie, sur le point de revenir à Paris, où l’on songe à lui pour un grand poste diplomatique ; Bernis le rassure au sujet de la crise intérieure qui, après l’attentat de Damiens, a failli perdre la marquise et ses amis. C’est d’un ton fort dégagé, fort peu ecclésiastique, que l’abbé-ministre parle du confesseur de sa majesté et des efforts tentés contre la favorite par les pieux défenseurs des bons principes. « Je vous crois à Parme, mon cher comte, et je prie M. de Rochechouart de vous rendre cette lettre. Le roi a été assassiné, et la cour n’a vu dans cet affreux événement qu’un moment favorable de chasser notre amie. Toutes les intrigues ont été déployées auprès du confesseur. Il y a une tribu à la cour qui attend toujours l’extrême-onction pour tâcher d’augmenter son crédit. Pourquoi faut-il que la dévotion soit si séparée de la vertu ? Notre amie ne peut plus scandaliser que les sots et les fripons. Il est de notoriété publique que l’amitié depuis cinq ans a pris la place de la galanterie. C’est une vraie cagoterie de remonter dans le passé pour noircir l’innocence de la liaison actuelle. Que d’ingrats j’ai vus, mon cher comte, et combien notre siècle est corrompu ! Il n’y a peut-être jamais eu beaucoup plus de vertu dans le monde, mais il y avait plus d’honneur. Venez promptement ici. Je crois nécessaire que vous soyez envoyé à la cour de Vienne pour étayer une besogne qu’il est si avantageux de suivre et qu’il serait si dangereux d’abandonner. Vous trouverez dans le conseil un ami de plus, qui connaît tout ce que vous valez et qui se fait un plaisir de le dire. » Décidé par ces nouvelles favorables, Choiseul embrasse avec ardeur la cause qui triomphe et s’attache