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ou moins bien informé, se refusait à partir. « Je connais les Français mieux que vous, disait-il, et il y a longtemps! Ils auront du respect pour un vieux général blessé sur le champ de bataille. Les officiers donneront le bal et iront à la comédie, les soldats caresseront un peu nos filles. Soignez les logemens, et que rien ne leur manque. Je suis assuré qu’il y a un courrier de l’empereur en route pour savoir de mes nouvelles[1]. » Pauvre vieil ennemi de la France, son adversaire malgré lui! pauvre prince de la Paix, comme l’appelaient les hobereaux du parti de la guerre! sa confiance fut trompée. Napoléon devait se conduire à son égard comme eussent agi vis-à-vis de lui les frénétiques de la cour de Prusse, s’il eût été vaincu, blessé et prisonnier. Wolfradt, sur de nouveaux avis, paraît-il, revint à la charge sur la nécessité d’un prompt départ. Il lui fit craindre que sa présence à Brunswick ne servît de prétexte pour aggraver les rigueurs de l’occupation militaire. Alors seulement il céda et consentit à être transporté ailleurs. « Je me sens trop faible, dit-il, et je ne supporterai pas le voyage bien loin; mais, si ma présence ici doit ajouter au malheur de mes sujets, il faut quitter la place, et je ne balance plus. » Il fut installé à Ottensee, près d’Altona. « On vit un prince souverain, raconte Bourrienne dans ses Mémoires, jouissant à tort ou à raison d’une grande réputation militaire, naguère puissant et tranquille dans sa capitale, maintenant battu et blessé à mort, faisant son entrée dans Altona sur un misérable brancard porté par dix hommes, sans officiers, sans domestiques, escorté par une foule d’enfans et de vagabonds qui le pressaient par curiosité, déposé dans une mauvaise auberge et tellement abattu par la fatigue et la douleur de ses yeux que le lendemain de son arrivée le bruit de sa mort était général. » il mourut en effet le 10 novembre 1806, âgé de soixante-seize ans, dans la vingt-sixième année de son règne.

Déjà le quinzième bulletin de la grande armée avait laissé entrevoir des dispositions peu bienveillantes pour le vaincu d’Auerstaedt. On y avait parlé de ce « duc de Brunswick, homme connu pour être sans volonté et sans caractère, » qui s’était laissé « enrôler dans le parti de la guerre, » et qui avait signé le mémoire belliqueux composé par le général Schmettau et présenté au roi par la reine, allusion pleine d’inexactitudes à la démarche des princes auprès du roi le 2 septembre 1806 pour obtenir le renvoi de Beyme et Lombard. En revanche. Napoléon parlait avec une émotion affectée du « respectable feld-maréchal Mœllendorf. » Pourquoi cette différence entre les deux frères d’armes? Ne pouvait-on accu-

  1. Mémoires du comte Beugnot.