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appelées à traiter avec eux. En s’écartant volontairement de la vérité, le diplomate manquerait en effet non-seulement au premier de ses devoirs, mais s’exposerait tôt ou tard, et selon toute probabilité immédiatement, à la découverte de sa faute, et par là même à une ruine certaine, car il sait que son gouvernement, par les communications, que lui fait le représentant de la cour auprès de laquelle il est accrédité lui-même, est constamment renseigné sur la marche des négociations confiées à ses soins, et il n’ignore pas non plus que les autres membres du corps diplomatique, du moins les principaux et les mieux informés, mettent le plus grand prix à suivre de loin les négociations auxquelles ils ne prennent pas une part active eux-mêmes, en pénètrent souvent le secret, et s’empressent d’en donner connaissance à leurs cours. De là le double contrôle de la correspondance diplomatique du cabinet avec lequel l’agent négocie, et des échos des cours étrangères à la négociation : contrôle, ajoute M. de Hübner, qui maintiendrait l’agent dans les limites de la vérité, s’il n’y était maintenu par le devoir et par l’honneur.

Cette théorie part d’un noble cœur et d’un esprit élevé ; mais la passion n’a-t-elle pas corrompu souvent une source si pure ? Les agens ne devinent-ils pas quelquefois les désirs de celui qui les emploie, et ne sont-ils pas conviés à l’altération de la vérité par des motifs de plus d’un genre ? C’est à la critique à faire la part de ces élémens d’invraisemblance, et par exemple on ne prendra point comme témoignage de la vérité la dépêche espagnole qui rend compte à Philippe II des derniers momens de Sixte-Quint mourant en mécréant enragé. C’est du reste le sentiment avec lequel M. de Hübner lui-même revoit et discute les témoignages diplomatiques. Le public de nos jours a pleine raison d’attacher une curieuse attention aux correspondances. Il veut connaître le fond des choses : rerum cognoscere causas. Or le fond des choses reste le plus souvent un mystère renfermé dans les portefeuilles où la nécessité administrative, comme aussi la confiance ou l’indiscrétion, en ont consigné le témoignage. Il y a l’histoire de tout le monde et l’histoire des gens mieux informés, et chacun aujourd’hui veut être du nombre des mieux informés. Les révolutions multipliées de notre époque ont encore propagé ce sentiment.

À l’époque où régnait Sixte-Quint, la correspondance diplomatique, née et développée en Europe depuis le XVe siècle seulement, avait atteint déjà un haut degré de perfection. Les ambassadeurs français, espagnols, vénitiens et romains s’y distinguaient particulièrement ; nous connaissons aujourd’hui la plupart des remarquables documens de l’intelligence et de l’activité politique de ce temps. La république de Saint-Marc, placée entre les deux branches de la maison d’Autriche, la France et le sultan, déployait une habi-