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projetait sur l’Italie et l’Europe. Toutefois les humanistes n’avaient point provoqué le grand schisme d’Occident, ils n’avaient pas suscité l’ambition temporelle des papes politiques, ni éveillé les convoitises des familles papales. Les humanistes sont survenus sur ces premières couches de désordre et de discrédit, et ils ont été d’autant plus influens qu’ils ont trouvé les esprits plus détachés du saint-père des anciens temps. C’est ainsi que les philosophes du XVIIIe siècle ont obtenu tant de crédit au milieu d’une société où tous les pouvoirs publics étaient compromis. Et, quant au piège, il n’est pas permis à ceux qui dirigent les affaires de s’excuser d’y tomber en alléguant leur naïveté, leur imprévoyance ou d’autres misères humaines. En ce cas, l’expiation, c’est la chute. Toute autre puissance que la papauté eût succombé; la force vitale de l’église l’a préservée, sans que les fautes soient moins incontestables. Les ultramontains ont prétendu qu’après tout l’église est immortelle, et qu’elle n’a rien à changer dans des allures qui ne sont point justiciables de la terre. À ce sophisme, Fénelon a répondu. « L’église, il est vrai, dit-il, répare ses pertes. Elle a des promesses d’éternité... La foi ne s’éteindra point, mais elle n’est attachée à aucun des lieux qu’elle éclaire; elle laisse souvent derrière elle une affreuse nuit à ceux qui ont méprisé le jour, et elle porte ses rayons à des yeux plus purs. » Et Fénelon, après avoir rappelé la perte du christianisme en Afrique, s’écrie : « Que sont devenues ces fameuses églises d’Alexandrie, d’Antioche, de Jérusalem, de Constantinople[1], qui ont illuminé le monde? » Les états périssent par les abus ou les erreurs du pouvoir qui les régit, tout comme par l’invasion des barbares.

L’humanisme n’eût pas décrié le commerce des indulgences, s’il ne l’avait pas rencontré sur son passage ; mais ce n’est là qu’un incident de la grande révolution religieuse du XVIe siècle. L’humanisme a exercé une influence plus décisive, en proclamant la légitimité du libre examen. Il est l’aïeul du que sais-je? de Montaigne. Ramus professait hardiment à Paris, aux acclamations de nombreux auditeurs, dans un collège de la Montagne-Sainte-Geneviève, que la raison ne relève d’aucune autorité, mais que toute autorité relève de la raison : nulla auctoritas rationis, omnis auctoritatis ratio domina est. Toutefois il en eût été de la doctrine de Luther comme de celle de ses prédécesseurs en dissidences religieuses, si la politique ne s’en fût mêlée, et la politique n’a été mise en mouvement que par la faute de la papauté. La rapide propagation de la réforme, disons mieux, de la révolution religieuse en Europe, eut pour cause principale, non pas la supériorité des dogmes nouveaux, mais

  1. Fénelon, Sermon pour la fête de l’Epiphanie.