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Malheureusement pour la papauté, la réforme de Luther avait marché plus vite que la réformation des mœurs romaines, et l’église catholique était battue en brèche de toutes parts. Il n’y avait pas un demi-siècle écoulé depuis que Luther avait proclamé sa séparation, et la moitié de l’Europe avait suivi l’exemple du moine de Wittemberg. Presque toute l’Allemagne du nord et la moitié de celle du sud avaient embrassé la doctrine de Luther; la puissance de Charles V s’était brisée contre les protestans, et il avait été obligé de souscrire à la transaction de Passau. C’était une révolution politique autant qu’une réforme religieuse. L’Angleterre, l’Ecosse, la Suède, le Danemark, une partie de la Suisse et des Pays-Bas avaient aussi fait scission avec Rome. La Pologne était ébranlée, la France hésitait; le gouvernement des Valois dans sa politique étrangère s’appuyait sur les protestans; à l’intérieur, il faisait profession d’attachement à l’église romaine, quelquefois avec violence, quelquefois avec indécision. Une forme française de la séparation réformée s’était produite, qui entraînait une foule d’adeptes, et dont le centre d’action établi à Genève rayonnait sur la Gaule. De là Calvin régnait en maître absolu, propageait ses opinions à la ronde, fanatisait ses sectateurs et faisait des prosélytes jusque dans la haute Italie. Que la France passât du côté de la réforme, et le catholicisme était réduit en Europe à un empire incertain sur l’Italie et à l’obéissance dévouée de l’Espagne. Telle a été l’origine de l’importance européenne des querelles religieuses qui ont déchiré la France pendant cinquante ans. Les partis se sont disputé ce champ de bataille avec férocité. La consécration politique de la réforme avait produit ce résultat de créer en Europe deux classes d’états, dont les tendances, comme les intérêts, restaient distincts, même après qu’on avait souscrit à une paix de religion.

En effet, la question religieuse recevait une complication singulière des circonstances politiques au milieu desquelles elle avait éclaté; elle tombait au milieu d’une lutte de prépondérance entre la France et l’Espagne, lutte à laquelle l’Angleterre se mêla bientôt avec habileté pour y jouer un rôle plus décidé que la France. Elisabeth prit résolument en main la défense de l’intérêt protestant en Europe; sa politique intérieure et extérieure l’y conviait. Elle obéit à une loi de situation. Philippe II, héritier de Charles V en Espagne, prit avec non moins de résolution la représentation de l’intérêt catholique dans le monde. Sa politique lui en imposait la condition et lui en promettait un immense profit. C’était ce protecteur que redoutaient les papes, tout en acceptant ses services; mais les fréquentes vacances de la papauté et les vicissitudes de la lutte avaient fait flotter à cet égard la politique de la cour de Rome. Malgré le soulèvement des Pays-Bas, la monarchie espagnole était