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de ses mains, sauta sur ses pieds, et disparut. De ce qui suivit, je n’ai gardé qu’un souvenir confus. Je crois avoir entendu crier. Voici ce que je me rappelle nettement. Deux des gendarmes nous rejoignirent tremblans de peur. Le Gascon manquait à l’appel ; on le chercha. Il était à son poste, couché sur la poitrine, en travers du sentier, non loin du roc escaladé par le bandit. Il avait un stylet planté entre les épaules et ne donnait signe de vie. De leurs mousquets disposés en croix et garnis de fougères, les gendarmes firent un brancard pour leur camarade. Je pris par le bras Trickball, qui chancelait à chaque pas comme un homme ivre, et c’est ainsi que nous redescendîmes lentement dans la plaine.

Peu après ces derniers événemens, je reçus l’ordre de rejoindre mon régiment sous les murs de Paris. J’arrivai au corps le soir du même jour. — Une semaine plus tard, ayant appris que la brigade du général ***, l’ancien colonel du fort de Montrouge, campait autour de Bagneux, je me rendis au quartier d’état-major. Toutes les troupes du village étaient sur pied. Les officiers parlaient avec animation ; les hommes riaient, poussaient des cris de joie. J’entrai chez le général, qui fit un geste de surprise en m’apercevant. — Je pensais à vous, me dit-il, vous arrivez à point !

— Qu’y a-t-il donc, mon général ?

Le général me regarda d’un air étonné. — Ah ! s’écria-t-il, dans le village ?.. Une nouvelle capture sans doute. Quelque bataillon d’émeutiers enveloppé par la ligne… Mais il ne s’agit pas de cela ! — Et fixant sur moi ses yeux perçans : — Contez-moi donc, dit-il, ce qui s’est passé. Je ne le sais qu’à moitié par Trickball, car, comme vous, Trickball a été rappelé. Il est ici. Tenez, le voilà, — ajouta-t-il en écartant les rideaux d’une croisée. En effet, le brigadier était debout dans un préau donnant sur la cour, appuyé contre une colonne et fumant sa pipe près de son cheval sellé et bridé. — Je fis au général le récit de ce qui m’était arrivé pendant mon séjour aux Pyrénées, sans omettre ce que le Gascon m’avait appris de l’histoire du brigadier.

— Tout cela est exact, dit le général quand j’eus fini. Il est vrai que je demeurais dans le hameau à cette époque, et Trickball, qui fut trois jours au lit, en proie à la fièvre et au délire, n’a parlé qu’à moi. Nous avons fait ensemble les campagnes de Crimée et d’Italie. Durant sa maladie, les gendarmes arrêtèrent à Saint-Jean-de-Rial un fraudeur de la bande de Francesco Sevilla. J’interrogeai moi-même cet homme, espérant tirer de lui quelques éclaircissemens ; mais il ne put rien dire de certain sur la fille de Trickball, et m’assura que Francesco n’était plus dans le pays. De fait, Trickball guéri fouilla vainement la montagne.