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trevue fameuse des empereurs, si diversement, quelquefois si étrangement commentée d’avance depuis quelques semaines et destinée peut-être à rester une énigme après comme avant. Pendant quelques jours, Berlin a été in fiocchi, la ville s’est pavoisée et illuminée, elle s’est pressée sur le passage des empereurs. Ces souverains du nord ont évidemment offert le spectacle de la plus touchante fraternité impériale ! Ils se sont embrassés avec une cordialité dont on a noté les nuances, ils se sont promenés ensemble, ils ont dîné ensemble, ils ont porté des toasts à leur prospérité mutuelle, ils ont distribué des décorations et des sourires ; ils ont dû en particulier passer un certain temps à des changemens de costume, l’empereur d’Allemagne paraissant tantôt en uniforme russe, taniôt en uniforme autrichien, l’empereur Alexandre et l’empereur François-Joseph ne manquant pas à leur tour de revêtir l’uniforme prussien. L’empereur Guillaume était visiblement heureux, à ce qu’il paraît, de promener ses hôtes de Berlin à Potsdam ou à Sans-Souci, de leur montrer la garde prussienne en pleine manœuvre du côté de Spandau, L’empereur Alexandre, malgré une certaine mélancolie qui ne le quitte pas depuis longtemps, ne s’est pas montré moins satisfait. L’empereur François-Joseph devait être, lui aussi, fort heureux en voyant défiler les régimens prussiens et surtout lorsque l’empereur Guillaume, avec un à-propos tout allemand, lui a offert, dit-on, la propriété du régiment de hussards de Slesvig-Holstein. C’était un souvenir délicat de la guerre faite en commun dans les duchés danois et qui a si bien profité à l’Autriche, comme on sait. Il est vrai que d’un autre côté l’empereur Guillaume avait eu le soin de faire disparaître momentanément des palais impériaux les tableaux représentant la guerre de 1866. Que fallait-il de plus pour que tout fût oublié ? Rien n’a donc manqué à ces fêtes, rien si ce n’est peut-être la présence du roi de Wurtemberg, du roi de Bavière, occupé en ce moment à faire un ministère désagréable à M. de Bismarck, car ce jeune roi de Bavière est assez étonnant. Pendant que les empereurs étaient en fête à Berlin, il acceptait la démission du ministre le mieux fait pour plaire au prince chancelier d’Allemagne, et il chargeait un des chefs de l’opinion particulariste bavaroise, M. de Glasser, du soin de former un cabinet ; mais ce n’est qu’un détail disparaissant dans les pompes berlinoises.

Que restera-t-il maintenant de cette entrevue, qui n’est plus déjà que de l’histoire ? Quelles en seront les conséquences ? Est-elle même destinée à avoir des conséquences ? L’avenir le dira. Que le prince de Bismarck, le prince Gortchakof et le comte Andrassy aient eu des conversations particulières, c’est assez simple, ils se rencontraient pour cela. Malgré tout, il est assez difficile d’attribuer un caractère précis et décisif à ce spectacle d’apparat, où l’Allemagne a vu surtout une sorte de reconnaissance fastueuse de la nouvelle situation des choses en Europe. Le plus clair est qu’on a dû se trouver d’accord sans beaucoup