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merveilleux des congrès internationaux serait déjà passé ? Celui-ci n’a point eu en vérité une trop brillante fortune. Il a commencé péniblement, il a eu des épreuves dans sa courte existence, et il a fini d’une manière assez brusque au milieu de toutes les scissions intimes, presque au milieu des orages. Il s’est même trouvé que, le public hollandais s’en mêlant, la représentation a été quelque peu dérangée ; mais aussi, qu’allaient-ils faire, ces internationaux, au milieu de cette population placide, sensée et honnête, qui n’est pas à la hauteur de si sublimes conceptions ? On a eu vainement le grand meneur de l’Internationale, M. Karl Marx, les membres de la commune de Paris, venus tout exprès de Londres, des envoyés de tous les pays, et jusqu’à un délégué d’Amérique arrivé pour représenter « l’amour libre ; » cela n’a servi à rien, la grande et solennelle manifestation révolutionnaire a manqué son effet, elle n’a pas même eu le succès de curiosité auquel avait le droit de s’attendre une aussi importante exhibition.

Ce n’est pas que le congrès de La Haye ait différé essentiellement de tous les congrès qui l’ont précédé ni qu’il ait manqué d’un certain genre d’intérêt. Bien au contraire, il a rempli toutes les conditions de ces sortes de réunions. D’abord on n’a pas laissé échapper l’occasion de se livrer à toutes les excentricités radicales ; pour la centième fois, on a déclaré la guerre à tous les gouvernemens, on a voué à la destruction les bourgeois de tous les pays et de toutes les nuances, sans excepter les « bourgeois radicaux, » en proclamant solennellement « qu’on détestait autant les fusilleurs de gauche que les fusilleurs de droite, » en attestant que « les Gambetta étaient aussi odieux que les Thiers. » On a exalté la commune, et même on a révélé au public une circonstance bien faite pour donner un frisson rétrospectif à M. de Bismarck : c’est que, si la commune avait été établie à Paris le 5 septembre 1870, la guerre était finie. Sait on pourquoi ? parce que la commune aurait été, dès le lendemain, également proclamée à Berlin, et qu’on se serait immédiatement embrassé sur les ruines de tous les gouvernemens et de toutes les aristocraties bourgeoises ! M. de Bismarck l’a échappé belle et la France a perdu là une heureuse chance de se sauver, — à moins qu’elle n’eût été précipitée du coup et dès ce moment dans une chute plus profonde et plus irrémédiable.

Au fond, à part les discours et les folies, le congrès de La Haye a peut-être sous certains rapports un intérêt plus sérieux. Il ne révèle pas seulement une fois de plus l’état moral ou mental de ce monde étrange, il est la manifestation visible d’une crise intime et assez profonde dans l’Internationale. Il s’est trouvé en effet à La Haye deux partis en présence, les fédéralistes et les unitaires ou autoritaires. Les premiers sont arrivés avec l’intention d’abolir le conseil-général de Londres, qu’ils accusent d’absolutisme, de tyrannie, et peut-être de quelques autres peccadilles financières. M. Karl Marx, le grand chef, avec son état-major