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qu’ils n’en obtiennent la concession que sous la condition du service militaire. Dans les pays slaves soumis à la couronne hongroise, en Croatie et en Slavonie, les lois civiles n’ont point eu égard aux coutumes nationales concernant les communautés. En Serbie au contraire, le code leur a donné force de lois, mais non toutefois sans admettre certains principes, empruntés au droit romain, qui, s’ils étaient appliqués, amèneraient infailliblement la ruine de l’institution. Ainsi, d’après l’article 515, un membre de la communauté peut donner en hypothèque sa part indivise dans le bien commun comme garantie d’une dette contractée par lui personnellement, et ainsi le créancier peut se faire payer sur cette part. Cet article est en contradiction complète avec la coutume traditionnelle et avec les articles précédens du même code, qui consacrent l’indivisibilité du domaine patrimonial[1].

Dans la Bosnie, dans la Bulgarie et dans le Monténégro, la coutume nationale n’a pas été réglée par la loi, mais les populations s’y sont montrées d’autant plus attachées qu’elles ont été plus opprimées. Les hommes s’associent d’instinct pour résister à ce qui menace leur existence. Le groupe de la famille pouvait bien mieux que l’individu isolé se défendre contre la rigueur de la domination turque. Aussi est-ce dans cette partie de la région slave du sud que les communautés de famille se sont le mieux conservées et qu’elles forment encore la base de l’ordre social. En Dalmatie, Venise avait tiré parti de cette organisation agraire pour établir dans les campagnes une milice destinée à repousser les incursions des Turcs. Quand la France occupa le littoral illyrien, à la suite du traité de Vienne de 1809, les principes du code civil furent introduits dans ce pays, et la légalité du régime des communautés cessa d’être reconnue. Celles-ci n’en continuèrent pas moins à subsister, et dans l’intérieur du pays elles ont duré jusqu’à nos jours, en dehors de la protection des lois, tant cette coutume a de profondes racines dans les mœurs nationales. Aux environs des villes, la mobilité des existences a dû affaiblir l’antique esprit de famille. Beaucoup de communautés se sont dissoutes, les biens ont été partagés et vendus, et les anciens sociétaires sont devenus des fermiers ou des prolé-

  1. D’après l’article 508, «les biens et l’avoir de la communauté appartiennent non à un des membres en particulier, mais à tous ensemble. » d’après l’article 510, « aucun des membres de la famille ne peut ni vendre ni engager pour dette rien de ce qui appartient à la communauté sans le consentement de tous les hommes majeurs. « — « La mort du chef de la famille, porte l’article 516, ou celle de tout autre membre ne change point la situation, et ne modifie aucunement les relations qui résultent de la possession en commun du patrimoine qui appartient à tous. » — « Les droits et les devoirs d’un membre de la communauté sont les mêmes, quel que soit le degré de parenté, ou même si, étant étranger, il a été admis dans l’association du consentement unanime de la famille. »