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fois, et le disciple a pour son maître toutes les indulgences de l’admiration. Un vrai chrétien assurément serait plus sévère ; mais Lamartine fut-il jamais un vrai chrétien ? Les miséricordes infinies ne lui coûtent guère, et nous le voyons les distribuer sur son passage avec la sublime prodigalité d’un scepticisme qui s’ignore. Sa foi vit de contemplation, de rêverie, et n’a jamais gêné personne. Il vous laisse, en tout état de cause, la conscience absolument à l’aise ; ses méditations, élévations et recueillemens n’impliquent d’autre culte que celui de la nature, d’autre autorité que l’enthousiasme. Le Dieu de Lamartine est le Dieu des bonnes gens de Béranger, sauf l’irrévérence et le cynisme de la gaudriole. Ce Dieu-là n’a point de bonnet de coton et ne met point la tête à la fenêtre pour voir ce qui se passe sur la terre. On l’installe dans les nuages roses de l’Orient ou dans les vapeurs argentées du clair de lune, on l’entoure d’une cour de séraphins à robes flottantes, et dont les traits célestes ont cet agrément singulier de rappeler à nos yeux les plus charmans visages du type féminin ; mais tout cet appareil ne relève au demeurant que de l’imagination, c’est de la mythologie pure et simple. Les croyances de ce genre n’imposant aucun devoir, on les peut avoir à bon marché : il suffit d’accorder sa harpe sur le ton et de se monter la tête.

Lamartine, avec cette inconcevable audace d’outrecuidance qu’on lui passe à cause d’une grâce innée qu’il apporte jusque dans ses afféteries, Lamartine a dit quelque part dans ses Confidences en parlant par allusion de sa propre personne : « S’il eût tenu un pinceau, il aurait peint des vierges de Foligno ; s’il eût manié le ciseau, il aurait sculpté la Psyché de Canova ; s’il eût connu la langue dans laquelle on écrit les sons, il aurait noté les plaintes aériennes du vent de mer dans les fibres des pins d’Italie, ou les haleines d’une jeune fille endormie qui rêve à celui qu’elle ne veut pas nommer. S’il eût été poète, il aurait écrit les apostrophes de Job à Jehovah, les stances d’Herminie du Tasse, la conversation de Roméo et Juliette au clair de lune de Shakspeare, le portrait d’Haydé de lord Byron. S’il eût vécu dans ces républiques antiques où l’homme se développait tout entier dans la liberté, comme le corps se développe sans ligature dans l’air libre et en plein soleil, il aurait aspiré à tous les sommets comme César, il aurait parlé comme Démosthène, il serait mort comme Caton. » Qui sait si Lamartine, une fois en train de byroniser, n’aurait point à son tour appuyé sur la note caractéristique ? La conscience a des secrets que nul regard ne sonde ; d’ailleurs le chantre des Méditations avait pris parti pour la religion, et n’avait plus à s’en dédire dans ses vers. Il s’était posé en croyant, ce qui ne l’empêcha point de se préoccuper toute sa vie de lord By-