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gnent le désintéressement, l’affection fraternelle, l’obéissance au chef de famille, la tolérance des défauts respectifs, la vie commune est possible et agréable même pour les femmes ; mais, quand ces sentimens ont disparu, la cohabitation devient un supplice, et chaque ménage cherche à posséder sa demeure indépendante pour s’y soustraire à la vie collective ; les avantages de la zadruga, quels qu’ils soient, ne sont plus comptés pour rien. Vivre à sa guise, travailler pour soi seul, boire dans son verre, voilà ce que chacun cherche avant tout. Sans la foi, les communautés religieuses ne pourraient durer. De même, si le sentiment de famille s’affaiblit, les zadrugas doivent disparaître. Je ne sais si les peuples qui ont vécu paisibles à l’abri de ces institutions patriarcales arriveront un jour à une destinée plus brillante ou plus heureuse ; mais ce qui paraît inévitable, c’est qu’ils voudront, comme l’Adam du Paradis perdu, entrer dans une carrière nouvelle, et goûter le charme de la vie indépendante malgré ses responsabilités et ses périls.


II.

Les chroniques, les chartes, les cartulaires des abbayes, les coutumes, nous montrent qu’il existait au moyen âge, en France, dans toutes les provinces, des communautés de familles exactement semblables à celles qu’on rencontre encore aujourd’hui chez les Slaves méridionaux. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle que nous trouvons des détails circonstanciés sur ces institutions ; mais, comme le dit M. Dareste de La Chavanne, il n’y a pas dans l’histoire de la France un seul moment où quelque texte ne révèle sur un point ou sur un autre l’existence de ces communautés. Les documens manquent pour nous apprendre comment elles se sont formées, et les opinions varient à cet égard. M. Doniol soutient, dans son Histoire des classes rurales en France, qu’elles ont été « créées tout d’une pièce comme la corrélative du fief, » et il ajoute que « cette interprétation est celle qu’ont donnée la plupart des auteurs chez qui l’étude du droit a eu pour lumière la connaissance de l’histoire, » notamment M. Troplong dans son livre sur le Louage. M. Eugène Bonnemère, qui s’est beaucoup occupé de ces communautés dans son Histoire des paysans, est d’avis qu’elles se sont développées sous l’influence des idées chrétiennes et sur le modèle des communautés religieuses, «Sous l’inspiration de leur faiblesse et de leur désespoir, dit-il, les serfs se groupèrent, à l’imitation des moutiers, s’associèrent, et arrivèrent à la possession du sol, non plus individuellement et isolés, mais rapprochés en agrégations de familles. » Ces explications sont manifestement erronées. Elles reposent sur les témoignages des commentateurs de coutumes du