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Pelletier, Ronsard, Malherbe, Voltaire lui-même, célèbrent sur tous les tons les femmes qui rehaussent, comme on disait sous l’ancien régime, l’éclat du trône par la galanterie. Les historiens en parlent avec admiration; elles sont toutes belles, pieuses, charitables, elles font de grandes largesses aux églises et aux couvens, et parmi leurs apologistes il en est qui vont jusqu’à vanter leur chasteté, à les comparer à Pénélope et à Lucrèce. Le parlement lui-même, quelque jaloux qu’il fût de sa dignité, se faisait un devoir de se rendre en corps auprès de Gabrielle pour lui présenter ses hommages, et il enregistrait avec une docilité respectueuse les solennelles déclarations d’adultère qui conféraient à La Vallière le titre de duchesse et à Pompadour le manteau d’honneur.

Cinquante ans de débauches royales avaient avili sous Louis XV le prestige de la couronne. Le peuple avait vu le prince gouverné par des femmes qui ne méritaient que le mépris; il avait vu le royaume appauvri par leurs concussions, sa prépondérance en Europe anéantie par les ministres que leurs caprices imposaient à l’état, et quand Louis XVI, le mieux intentionné et le plus vertueux des Capétiens, monta sur le trône, on évoqua contre lui les souvenirs accablans du passé. On l’accusa de subir le joug de la reine comme Louis XV avait subi le joug de son entourage féminin. On accusa la reine de disposer du trésor et des places, de conspirer avec l’étranger, de renverser les ministres, comme l’avaient fait sous tant de rois les femmes que de coupables faiblesses avaient associées au gouvernement, et la révolution, dans sa logique inexorable et terrible, frappa de la même réprobation et fit monter sur le même échafaud Louis XVI, Marie-Antoinette et la dernière maîtresse du dernier règne, la fille Lange, transformée en comtesse Du Barry.

Laissons-les donc dormir dans le linceul de leur honte ces tristes créatures qui font tache sur le règne de nos plus grands rois, de ceux qui malgré leurs fautes ont des droits impérissables à notre reconnaissance, parce qu’ils ont arraché leur royaume, lambeaux par lambeaux, à la féodalité et à l’étranger, parce qu’ils n’ont jamais désespéré du salut, et qu’ils ont créé cette belle France qui s’est démembrée entre nos mains. Ne cherchons pas des scandales dans l’histoire, demandons-lui des enseignemens. Nous avons pour peupler nos galeries assez de nobles figures sans qu’il soit besoin d’y suspendre les pastels de Laïs ou d’Acté, et rappelons-nous ces mots que Thraséas, dans la décadence romaine, adressait, avec ses derniers adieux, à ceux qui le voyaient mourir : « regardez, amis, nous vivons dans un temps où le courage même a besoin de grands exemples. »


CHARLES LOUANDRE.