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reste, en étudiant à fond tous les caractères de cette époque, on découvre à chacun des visées particulières, et dans la diplomatie autant de menées, de vues personnelles qu’il y a d’intéressés dans les grandes affaires. Philippe II aspirait à être plus maître à Rome que le pape, et il y parvenait quelquefois; mais Sixte-Quint en prenait de rudes revanches.

A propos du désastre de l’Armada dans les mers d’Angleterre, M. de Hübner nous révèle une dépêche d’Olivarès qui offre une scène de haute comédie. Il paraît que le pape avait promis des fonds pour cette expédition. L’ambassadeur d’Espagne vint en réclamer le paiement alors qu’il courait déjà de mauvais bruits sur le succès. « Il m’écouta sans m’interrompre, dit Olivarès à Philippe II, mais avec des signes d’impatience et en se tordant plusieurs fois les mains. Enfin sa colère éclata; il répondit qu’il remplirait ses obligations, mais qu’il était inutile de le presser maintenant, attendu qu’il ne comptait rien faire avant d’avoir des nouvelles de la flotte. Je répliquai que je transmettrais ses paroles à votre majesté, et que sa résolution de ne rien faire étant, quoi qu’il en dît, évidente, votre majesté verrait avec déplaisir que sa sainteté lui manquât de parole. Sans s’excuser, le pape soutint ne pouvoir disposer de l’argent du saint-siège qu’avec l’assentiment de tout le sacré-collège, et, sans rien ajouter, il m’ordonna de passer à un autre sujet. » Quant à l’événement même de la perte de l’Armada, Olivarès rend ainsi compte à Philippe II des impressions qu’en éprouva le pape. « L’attitude de sa sainteté dans ces jours derniers n’a pas laissé reconnaître le zèle pieux pour l’extirpation des hérétiques et pour le salut des âmes auquel l’oblige sa situation; car, lorsque les nouvelles étaient bonnes, elle ne témoignait aucune joie et se montrait au contraire mélancolique, et quand elles n’étaient pas bonnes, elle montrait une résignation presque inconvenante. C’était l’impression générale. C’est que dans son esprit le bien que fait votre puissance est contre-balancé par l’envie et la crainte de la grandeur de votre majesté; semblable en ceci aux Vénitiens et aux Florentins qui ont toujours l’éloge à la bouche, mais qui, dans leur for intérieur, contestent les bienfaits dus aux résolutions de votre majesté. »

Dans une autre dépêche d’Olivarès à son roi, nous voyons que le caractère hautain de Philippe II s’irritait souvent des procédés du pape. « Un cardinal dévoué à nos intérêts m’a raconté une longue conversation qu’il a eue avec sa sainteté... L’ensemble se composait de plaintes contre votre majesté, qui, disait le pape, ne l’estimait pas, n’en faisait aucun cas, et ne daignait même pas répondre à ses messages, ce qu’il semblait vivement ressentir. » Et l’ambassadeur, après avoir indiqué d’autres griefs du pape, ajoute : « Il serait utile, pour le service de votre majesté, qu’elle ne lui don-