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rieures. Cependant au XVIIe et au XVIIIe siècle, il existait encore beaucoup de ces associations rurales : les terriers et les actes de partage en font fréquemment mention ; seulement on sent qu’elles soulèvent une hostilité presque générale. Un rapport adressé à l’assemblée provinciale du Berry de 1783, analysé par M. Dareste de La Chavanne[1], montre parfaitement comment les sentimens de la personnalité égoïste devaient détruire une institution qui ne pouvait durer que par une mutuelle confiance et une fraternelle entente. C’est seulement dans les provinces les plus isolées, dans le Nivernais, l’Auvergne et le Bourbonnais, qu’il s’en est conservé quelques vestiges jusque dans ces derniers temps.

M. Dupin aîné a décrit une de ces communautés, qu’il avait visitée vers 18à0 dans le département de la Nièvre. Les détails qu’il donne sont si caractéristiques qu’il ne sera pas inutile de les reproduire ici. « Le groupe d’édifices dont se composent les Gault est situé sur un petit mamelon, à la tête d’une belle vallée de prés. La maison principale d’habitation n’a rien de remarquable au dehors; à l’intérieur, on trouve au rez-de-chaussée une vaste salle ayant à chaque bout une grande cheminée, dont le manteau a environ 9 pieds de développement, et ce n’est pas trop pour donner place à une si nombreuse famille. L’existence de cette communauté date d’un temps immémorial. Les titres, que le maître garde dans une arche, remontent au-delà de 1500, et ils parlent de la communauté comme d’une chose déjà ancienne. La possession de ce coin de terre s’est maintenue dans la famille des Gault, et avec le temps elle s’est successivement accrue par le travail et l’économie de ses membres, au point de constituer, par la réunion de toutes les acquisitions, un domaine de plus de 200,000 francs, et cela malgré les dots payées aux femmes qui avaient passé par mariage dans des familles étran-

  1. Le rapporteur, qui fait le procès aux communautés, affirme que les associés ne visaient qu’à se tromper réciproquement au profit de leur intérêt individuel. « On voit, disait-il, un des associés acheter pour son compte et placer du bétail, pendant que le maître de la communauté n’a pas d’argent pour remplacer un bœuf mort ou estropié. Aucun des communiers ne met en évidence les profits particuliers qu’il fait, aucun n’achète d’immeubles, et où ils ont des ruches et des bêtes à laine, il suffit qu’ils voient les affaires communes dans le délabrement pour qu’ils cachent leurs effets mobiliers. » Le rapporteur ajoute que, chacun voulant profiter des avantages de l’association sans prendre sa part des charges, il en résulte qu’avec beaucoup de bras il s’y fait très peu d’ouvrage. En outre le chef de l’association administrait et ne travaillait pas. Les autres associés, n’ayant à gérer aucun intérêt, demeuraient plongés dans l’ignorance et dans l’inertie. — Le tableau est probablement quelque peu assombri, mais il révèle en tout cas deux faits certains, l’opposition que rencontrait l’existence des communautés et l’esprit individualiste qui devait en amener la ruine. Les mêmes causes agissent de la même façon aujourd’hui chez les Slaves méridionaux. L’évolution économique est partout fort semblable, même dans des pays très éloignés et très différens.