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mérite auprès de personne; malhabile et fausse position qui le montrait conspirant contre la royauté tout en gardant les apparences du respect avec elle, et qui l’a conduit à une perte déjà reconnue inévitable aux esprits clairvoyans. Il disait le 12 mai aux émeutiers qui criaient vive Guise : « Mes amis, vous me ruinez, criez vive le roi. » Serait-il vrai que les seize lui ont forcé la main le premier jour des barricades, et qu’il aurait voulu se borner à la défensive contre le coup d’état avorté de Henri III? Je crois cette opinion moderne, et qu’on était simplement alors à l’enfance de l’art en fait de journées révolutionnaires.

Si nous en croyons De Thou, d’ordinaire bien informé, lorsque Sixte-Quint apprit que le duc de Guise était rentré à Paris malgré la défense du roi, il s’écria : « le téméraire, ô l’imprudent, d’aller se mettre ainsi dans les mains d’un prince qu’il a tant offensé ! » Puis, quand il apprit que le roi l’avait laissé sortir du Louvre,-il s’écria plus vivement encore : « O le lâche prince, ô le pauvre souverain, d’avoir ainsi laissé échapper l’occasion de se défaire d’un homme qui semble né pour le perdre! » Enfin l’on ajoute qu’il ne mettait plus de termes à ses exclamations, quand il apprit que le duc lui-même avait laissé le roi s’échapper du Louvre. Ces propos de Sixte-Quint furent rapportés au roi, et nous verrons bientôt quelle en fut peut-être l’épouvantable conséquence. Ce qui est assuré, c’est le témoignage piquant que nous fournit M. de Hübner des sentimens prêtés à Sixte-Quint à l’occasion de cette déplorable affaire. Le rapporteur passionné en est encore Olivarès. Il écrivait le 30 mai de Rome à Philippe II : « Sa sainteté m’a raconté qu’elle avait parlé très chaleureusement à l’ambassadeur de France à l’excuse des Guises. Il lui est échappé pourtant d’ajouter qu’elle avait demandé à M. de Pisani comment il était possible que le roi (lorsqu’il tenait le duc au Louvre) n’eut pas eu sous la main vingt hommes sûrs pour le faire enfermer dans une chambre, et en faire ce que bon lui semblait[1], ce dont les Parisiens auraient fini par s’accommoder. D’autres fois elle m’a dit avoir fait observer à l’ambassadeur et aux cardinaux dévoués à la France que le roi faisait mal d’être en défiance en nième temps avec les Guises et avec Montmorency (chef du parti politique), qu’il fallait se joindre aux uns pour frapper avec eux sur les autres, et qu’après en avoir fini avec ceux-ci, il aurait les bras libres pour tomber sur les autres. De même elle m’a dit nombre de fois que le duc de Guise a mal fait, il y a maintenant trois ans, de ne pas aller à Paris et de ne pas s’emparer du gouvernement. Elle m’assure avoir fait engager le

  1. Si l’on en croit Lestoile, Henri III a bien eu la pensée de se défaire ce jour-là du duc de Guise. Voyez édit. cit., t. Ier, p. 248.