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ou non sur les listes. A Londres comme à Manchester, les noms des femmes ont été rayés uniformément.

Le mouvement émancipateur n’est pas moins marqué aux États-Unis. Il s’y distingue même par des traits plus accusés à certains égards. Les femmes aiment à y plaider elles-mêmes leurs droits sans cet intermédiaire masculin dont l’intervention rappelle encore je ne sais quelle supériorité protectrice. Sans doute il n’est point interdit au sexe masculin de venir rendre un libre hommage aux femmes sacrifiées dans leurs droits; mais ces transfuges du camp des hommes, admis à apporter leur part d’assistance, doivent se contenter de ce rôle modeste. Voilà du moins une attitude pleine de dignité comme de logique. Qui parle dans les meetings? Les femmes. Qui rédige des journaux spéciaux pour l’émancipation? Les femmes. Qui adresse au sexe féminin des deux mondes de retentissans appels? Les femmes. Elles se font recevoir médecins, avocats, professeurs, et même, cela, dit-on, n’est pas tout à fait sans exemple, ministres du saint Evangile. Mme Elisabeth Stanton se présente à la députation de Pensylvanie, Mme Victoria Woodhall, qui déjà préside « la société de l’amour libre, » pose sa candidature à la présidence des États-Unis avec l’appui du club radical de New-York. Mlle Tennie sollicite le poste de colonel du 9e miliciens, et invoque dans sa lettre de demande l’exemple de Jeanne d’Arc. Ce qui est plus sérieux, les femmes votent dans quelques états particuliers. A l’ouest, dans le Wisconsin, le droit de suffrage a été accordé aux femmes ayant plus de vingt et un ans. Nombre de journaux américains approuvent cette réforme, et demandent qu’elle soit généralisée.

Cette intervention des femmes dans la défense de leur propre cause ne rend pas la polémique moins âpre, loin de là. Le ton en est souvent fort arrogant. Outre la vigueur de tempérament qui appartient à la race, cette hauteur s’explique par une circonstance particulière tirée de la proportion numérique des deux sexes. Ici, l’arithmétique a moralement de terribles effets. On ne s’en forme pas une idée suffisante en constatant qu’en 1860 le nombre total des hommes dépassait aux États-Unis de 730,000 celui des femmes. Telles contrées, celles de l’ouest particulièrement, accusent des différences, à tel point qu’en Californie il y a trois hommes contre une femme, à Washington quatre hommes contre une femme, huit dans la Nevada, vingt dans le Colorado. Il n’est pas probable qu’une femme recherchée par vingt hommes ou seulement par huit ou par quatre, et qui est maîtresse de son choix, restera aisément dans les termes de l’humilité et de la soumission chrétienne. Difficilement elle acceptera le rôle d’infériorité auquel elle ne peut tout au plus se résigner que dans un état où l’offre et la demande des deux