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tages de succession et des ventes. Ces associations ont traversé tout le moyen âge sans changemens notables, comme les couvens, parce qu’elles avaient une constitution semblable : étant des corporations, elles en ont eu la perpétuité. Quand les paysans sont sortis des communautés et ont créé par le partage la petite propriété rurale, la noblesse avait perdu toute force d’extension, et déjà approchait la révolution, qui allait anéantir ses privilèges et donner pleine garantie aux droits des cultivateurs. Entre le moment où les communiers se sont transformés en petits propriétaires et celui où le code civil est venu les émanciper complètement, l’aristocratie féodale, affaiblie déjà, n’a pas eu le temps d’user de sa suprématie et de sa richesse pour agrandir ses domaines. En Angleterre au contraire, les communautés ayant cessé d’exister à une époque où la noblesse était encore toute-puissante, les petits propriétaires-cultivateurs, se trouvant isolés, n’ont point su défendre leurs droits, et leurs terres ont été successivement absorbées par le lord of the manor. Les populations rurales sont donc arrivées trop tôt à la propriété privée, et ainsi les latifundia ont pu se constituer à leurs dépens. Si la propriété collective s’était maintenue plus longtemps, les associations rurales auraient, en disparaissant, laissé à leur place, comme en France, une nation de propriétaires. Chose étrange, c’est parce que l’Angleterre est arrivée plus tôt que les autres pays à sortir de l’organisation agraire des temps primitifs que la noblesse féodale a pu s’y perpétuer, et c’est l’établissement trop hâtif du régime moderne qui a empêché une démocratie rurale de s’y constituer comme en France.

Le régime des communautés familiales a été aussi très général autrefois en Italie. Il en subsiste encore des traces nombreuses dans différentes provinces. M. Jacini, dans son excellent livre sur la Lombardie, a décrit celles qu’on rencontre dans la région des collines de ce pays. Elles s’y combinent avec le métayage, dont elles facilitent la pratique. Le propriétaire aime mieux avoir pour tenanciers des cultivateurs associés que des ménages isolés. L’association, on l’a dit, a plus de ressources et présente plus de garanties pour le paiement des redevances en nature et pour l’exécution fidèle du contrat : elle est plus capable de diriger une culture étendue, de résister aux pertes des mauvaises années et à tous les accidens inséparables d’une entreprise agricole. Les communautés jouissent en général d’une aisance relativement grande, et se distinguent par ce que l’on appelle les vertus patriarcales. Ces associations se composent habituellement de quatre ou cinq ménages qui vivent en commun dans de grands bâtimens de ferme. Elles reconnaissent l’autorité d’un chef nommé reggitore et d’une femme de ménage, la massara. Le reggitore règle les travaux, vend et achète, place les épargnes,