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et même, bien peu s’en faut, de leur absolue parité. Cette thèse de l’égalité intellectuelle, l’auteur anglais la présente même comme une découverte. Ceux qui la contestent sont traités par lui d’esprits étroits et arriérés; il les compare aux ignorans fanatiques qui repoussèrent la découverte de Galilée. C’est se faire, on le voit, la part belle. Or, nous en demandons pardon non-seulement à M. Mill, mais à tous les émancipateurs de la femme, leur thèse est loin d’être aussi nouvelle qu’ils le supposent, et quand bien même ils auraient pour eux la vérité qu’ils n’ont pas, leur originalité n’en paraîtrait pas moins douteuse.

Il faut tout notre laisser-aller, tout notre manque de mémoire, nous nous servons des termes les plus doux, pour accorder le titre d’inventeurs aux écrivains qui mettent en avant la thèse de l’égalité intellectuelle de l’homme et de la femme. Il suffit, sans remonter plus haut, de jeter les yeux sur les controverses du XVIe et du XVIIe siècle à ce sujet pour voir que l’idée n’est pas nouvelle. Combien d’auteurs et d’ouvrages peuvent être mis au nombre des prédécesseurs de M. Mill et de ceux qui combattent aujourd’hui pour la même cause! Nous en citerons seulement quelques-uns qui eurent leur jour d’éclat, suivi d’un complet oubli. En 1509, c’est un écrivain célèbre alors, Cornélius Agrippa, qui publie un Traité de l’excellence des femmes au-dessus des hommes. La thèse de l’égalité est, on le voit, dépassée du premier coup. Le livre d’Agrippa est divisé en trente chapitres, et dans chaque chapitre il démontre la supériorité des femmes par des preuves théologiques, physiques, historiques, cabalistiques et morales. Les Italiens, qui certes n’avaient pas besoin d’être piqués au jeu par un écrivain allemand dans ce genre de galant panégyrique, où excella Boccace, multiplient après lui des traités analogues. Ruscelli, en 1552, en publie un à Venise. Le platonisme, interprété par l’esprit de la renaissance, y est employé à défendre la même cause avec grand renfort de citations sacrées et profanes. Ne croirait-on pas qu’ils sont nos contemporains, les écrivains des deux sexes qui, embrassant la même opinion, se plaignent de l’entêtement des préjugés? Telle est parmi les femmes une Vénitienne qui a écrit un enthousiaste panégyrique de son sexe, Modesta di Pozzo di Zor4; plus tard, une autre Vénitienne, Lucrèce Morinella, intitulant son livre la Noblesse et r excellence des femmes avec les défauts et les imperfections des hommes, titre presque textuellement répété plus tard en tête d’un autre ouvrage : la Femme meilleure que l’homme, paradoxe, par Jacques del Pozzo. Marguerite de Navarre, la première femme de Henri IV, avait défendu la même opinion dans un ouvrage en forme de lettres, et qui ne sait que l’autre Marguerite, dans l’Heptameron, avait discuté déjà sur cette prééminence? Au XVIIe siècle, la même