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depuis deux années le gouvernement de la France. Le bon sens ne pouvait recommander une conduite plus profitable aux intérêts du pays.


I.

La Dalmatie forme un royaume; c’est sous ce nom qu’elle figure dans tous les actes officiels où le souverain d’Autriche-Hongrie énumère les couronnes de la maison de Habsbourg. Ce prince du reste, pour rappeler quelques-uns de ces titres qui sont au nombre de cinquante-six en tête du statut constitutionnel d’octobre 1860, est roi de Bohême, de Croatie, de Schiavonie, de Galizie, de LodomérJe, d’Illyrie, duc de Styrie, grand-prince de Transylvanie, margrave de Moravie, comte de Sonnenberg, seigneur de Trieste et de la marche des Vendes : image de la manière dont s’est constituée la monarchie autrichienne, cette vaste fédération où les états sont entrés sans se confondre, où la dignité impériale est le seul lieu qui réunisse des provinces si diverses. La Dalmatie a une des formes les plus bizarres que présente la géographie politique de l’Europe, forme tout artificielle, sans limite naturelle, si ce n’est à l’occident, où elle s’arrête à la mer. C’est un long triangle dont la base est tournée au nord, et qui, descendant ensuite vers le sud, se rétrécit rapidement, au point de n’avoir plus, quand il se termine, que 3 ou 4 kilomètres de large. Dans le district de Raguse, tel est ce peu de profondeur que les Turcs de leurs montagnes pourraient bombarder par-dessus l’empire d’Autriche une flotte qui naviguerait dans l’Adriatique : violation de la neutralité qui n’a pas été prévue par le droit des gens. Autre bizarrerie : le territoire ottoman coupe la Dalmatie en trois morceaux. Pour aller par terre d’Almissa à Slano, et de Castelnovo à Gravésa, il faut en demander la permission aux soldats du Grand-Seigneur.

Cette province n’est qu’une bande de terre, un véritable ruban. Plus de quatre-vingts îles ou îlots forment devant la côte une guirlande de 200 milles de longueur. On navigue au milieu des fiores. Le sol est pierreux, d’un rouge-brun, accidenté par de grands rochers, découpé comme une dentelle. Ces teintes, tristes et pâles quand le ciel est voilé, s’illuminent de couleurs dorées dès que le soleil, qui se cache rarement dans ces contrées, les inonde de lumière. A l’orient s’élèvent les hautes chaînes de l’Herzégovine et de la Bosnie; à l’occident, l’œil se perd sur les flots de l’Adriatique. Cette navigation a toutes les beautés que peut donner la triple réunion de la mer, des montagnes et du soleil, l’intérêt d’un voyage où l’on passe d’un canal à un autre, sans perdre jamais de vue la terre, les maisons, les champs, le spectacle de l’activité humaine. Tantôt le bateau longe des côtes boisées, découvre de