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doit d’abord payer la rente, fixée une fois pour toutes et que le propriétaire ne peut augmenter. Quand la terre change de mains, le propriétaire touche aussi un certain droit, que l’on appelle luctuosa, quand la transmission a lieu à la suite d’un décès, et laudemium quand elle a lieu par suite d’une vente. La terre tenue en aforamento est essentiellement indivisible; il faut donc que l’un des héritiers prenne tout le domaine en donnant un équivalent aux autres, ou que le bien soit vendu. A défaut d’héritiers au degré successible, l’aforamento expire, et le nu-propriétaire arrive à la pleine propriété. L’aforamento est plus ou moins en usage dans tout le Portugal; il n’est pas inconnu dans l’Alemtejo, et il est assez fréquent dans les Algarves, mais au nord du Tage c’est le mode de tenure le plus usité, et on lui attribue l’excellente culture et l’aisance des cultivateurs qui distinguent la province du Minho. L’aforamento semble remonter aux premiers temps de la monarchie; on suppose qu’il a été établi d’abord sur les terres des moines bénédictins.

En Italie, le contralto di livello était très général au moyen âge, et il existe encore dans plusieurs provinces, notamment dans la Lombardie et la Toscane. Dans d’anciens documens du VIe au XIIIe siècle, on voit souvent figurer les libellarii. Les règles principales du contrat datent, croit M. Jacini, du temps de l’empire romain. M. Roscher en trouve l’origine dans l’emphytéose, que le moyen âge emprunta au droit romain. Aliéner un immeuble dont on ne pouvait tirer parti à des cultivateurs qui s’engageaient à le faire valoir moyennant une rente fixe ou canon et le paiement de certains droits, laudemii, en cas de transmission, c’était un contrat avantageux aux deux parties, et il n’est pas étonnant qu’au moyen âge les grands propriétaires, qui manquaient de capitaux et de fermiers pour exploiter leurs vastes domaines, aient eu recours à ce moyen de s’assurer un revenu parfaitement garanti. Aujourd’hui les livelli tendent à disparaître en Italie, d’abord parce qu’ici, comme en Portugal, la législation civile et les tribunaux sont hostiles à ces rentes perpétuelles, qui rappellent, dit-on, les droits féodaux, — en second lieu parce que le régime de la pleine propriété paraît désormais seul rationnel, et qu’on supporte difficilement tout ce qui le restreint. Le beklem-regt, qui est général dans la province néerlandaise de Groningue[1], est entièrement semblable à l’aforamento portugais. C’est une preuve de plus à l’appui de cette remarque de Tocqueville qu’au moyen âge, sous les dehors d’une grande diversité, les coutumes étaient au fond partout les mêmes. Pour que le beklem-regt et l’aforamento présentent aujourd’hui des caractères

  1. Pour les détails, voyez mon Essai sur l’économie rurale de la Néerlande.