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difficulté qui a pesé sur toute la campagne, qui n’a point été certainement étrangère aux désastres définitifs de la France, celle des rapports du gouvernement avec les généraux, de l’intervention incessante, obstinée, du cabinet de Tours ou de Bordeaux dans les opérations de la guerre.

Chose assez étrange, les événemens qui depuis un mois avaient eu pour résultat de fractionner les forces de la France ne paraissaient pas avoir causé un déplaisir trop sensible au gouvernement, qui avait tout l’air de voir dans cette combinaison un moyen de plus d’exercer son omnipotence, de rester le directeur suprême d’opérations multiples. Était-ce étourderie, était-ce préoccupation jalouse d’une dictature infatuée ? Toujours est- il que le gouvernement semblait éviter tout ce qui aurait pu favoriser une intelligence des généraux entre eux ou des chefs militaires de province avec Paris, et il les laissait dans une ignorance presque complète de tout ce qui se passait en dehors de leur sphère d’action. Au lieu de les associer à la responsabilité de toutes les résolutions dans une si effroyable crise, il les consultait à peine. Le gouvernement troublait souvent les généraux par les immixtions les plus futiles, et il ne leur disait pas ce qu’ils auraient eu le plus sérieux intérêt à connaître. Il se contentait de leur envoyer des dépêches qui pouvaient les tromper comme elles trompaient tout le monde, ou un bulletin confus qui n’était qu’un ramassis de nouvelles prises dans tous les journaux européens. Le général d’Aurelle s’était déjà plaint de cette situation faite à un général en chef, qui était obligé de conduire des opérations de guerre sans rien savoir de ce qui se passait sur d’autres points de la France. Le général Chanzy écrivait bientôt à son tour au ministre de la guerre : « Je vous ferai observer qu’il est indispensable pour la suite de mes opérations que je sois tenu constamment au courant des mouvemens des autres armées, surtout de celles des généraux Bourbaki et Faidherbe. Les renseignemens contenus dans les dépêches me sont complètement insuffisans. » Chanzy, et c’était bien simple, tenait à savoir ce que faisaient Bourbaki et Faidherbe, de même qu’il désirait plus vivement encore avoir la pensée du général Trochu, puisqu’en définitive Paris restait le grand et suprême objectif de la guerre qu’on poursuivait en province.

Avant tout, c’eût été manifestement une nécessité de premier ordre pour les généraux de ne rien ignorer d’abord, puis de pouvoir s’entendre et lier leurs opérations. C’était en vérité ce qu’ils ne pouvaient obtenir. Le gouvernement, qui croyait représenter à lui seul l’unité d’action et qui ne représentait que l’incohérence, se prêtait aussi peu que possible à ces communications directes sans