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la Mayenne. On se mettait en mouvement sur la Mayenne et sur Laval, laissant à l’ennemi une ville de plus, la clé de l’ouest. Le 12, à deux heures et demie, le général en chef, demeuré l’un des derniers, surveillait du haut d’un mamelon le mouvement de retraite de ses troupes, tandis que les Prussiens pénétraient déjà dans Le Mans. On s’en allait, par un effroyable temps de verglas et de neige, non sans avoir sans cesse à repousser l’ennemi, qui serrait de près nos colonnes, et le mal le plus redoutable était la démoralisation, suite des revers obstinés, des pénibles retraites, des privations et des fatigues. Jauréguiberry, Jaurès, soutenaient de leur fermeté cette nouvelle marche en arrière. Ils avaient à contenir l’ennemi et à contenir leurs hommes, qui poussaient le découragement et le trouble jusqu’à se laisser renverser ou tuer par les cavaliers qui s’opposaient à leur passage. L’amiral, qui dans une affaire d’arrière-garde venait d’avoir son chef d’état-major tué à ses côtés, son cheval tué sous lui, écrivait avec désespoir : « Je trouve autour de moi une telle démoralisation que les généraux du corps d’armée m’affirment qu’il serait très dangereux de rester ici plus longtemps. Je suis désolé de battre encore en retraite. Si je n’avais avec moi un matériel considérable qu’il faut essayer de sauver, je m’efforcerais de trouver une poignée d’hommes déterminés et de lutter, même sans espoir de succès… Je ne me suis jamais trouvé, depuis trente-neuf ans que je suis au service, dans une position aussi navrante pour moi… »

Ces vaillans hommes avaient le droit d’échanger ces confidences d’une tristesse virile. Depuis un mois, sans trêve et sans repos, ils luttaient contre l’invasion, ils lui disputaient le terrain pied à pied. Intimidant quelquefois l’ennemi, fortifiant leurs soldats contre leurs propres défaillances, ils avaient soutenu cette campagne avec un mélange d’habileté et d’héroïsme qui donnait parfois à une longue retraite l’apparence d’une stratégie menaçante. Ils avaient fait ce qu’ils avaient pu, et maintenant ils se voyaient éloignés plus que jamais de leur but. Une fois sur la Mayenne, et on y était vers le 16 janvier, on avait sauvé l’armée, mais de longtemps on ne pouvait plus rien. De ces trois dramatiques et sanglans épisodes de la guerre de France qui se déroulaient à la fois dans l’ouest, dans l’est, à Paris, le premier était fini ; le dénoûment des deux autres n’était pas loin.


Charles de Mazade.