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nés par les rues, décapités, coupés en morceaux, et les lambeaux de leurs corps furent accrochés aux portes de la ville (1399). Il n’y a pas que le pauvre roi de France qui soit fou ; l’heure approche où cette étrange épidémie nerveuse, la danse macabre, passion furieuse qui fait danser frénétiquement, va entraîner le monde surmené ; pour les Allemands, c’est la danse de Saint-Wit ; pour nous, c’est la danse de Saint-Guy ; pour les Hollandais, c’est la danse de Saint-Jean ; pour les Italiens de la Pouille et des Calabres, du XIVe au XVIIIe siècle, c’est le tarentisme, la danse de la tarentule ; pour jumpers du Monmouthshire, ce sera vers 1785 un hommage rendu à Dieu en souvenir de David, qui dansa devant l’arche ; pour les médecins, c’est tout simplement la choréomanie, affection nerveuse bizarre, facilement contagieuse par sympathie, et qui très souvent s’allie à la manie religieuse. Les voyageurs qui de nos jours encore ont assisté aux exercices des derviches hurleurs et des derviches tourneurs dans quelque grande ville de l’Orient, ou pendant l’une des fêtes de l’islamisme, n’en douteront pas. Au XVe siècle, la folie a eu sur les destinées de notre pays une influence extraordinaire ; elle nous perdit et nous sauva. Le délire de Charles VI conduisit au traité de Troyes qui livrait la France à l’Angleterre ; les hallucinations de Jeanne d’Arc rejetèrent hors du territoire l’élément étranger qui s’y était implanté.

À ce moment, nul savant ne s’occupe-t-il de l’aliénation mentale et n’indique-t-il une méthode pour la combattre ? Celui qui en parle aurait mieux fait de se taire. Jacob Sylvius recommande de frapper les fous, et de ne leur adresser que des paroles de violence. Pour reconnaître la phrénésie, qui est un « érysipèle intérieur du cerveau, » il indique un procédé fort simple : appliquer sur la tête de la craie délayée dans de l’eau ; là où la pâte séchera là est le siège du mal. Ce n’est pas par de tels moyens qu’on pouvait remédier à ces affections mentales, qui se répandent avec le caractère d’épidémie et envahissent des pays entiers. — Vers 1435, on découvre tout à coup que les habitans du pays de Vaud adorent le diable, lui jurent obéissance et se nourrissent de nouveau-nés non encore baptisés. La torture aida singulièrement aux aveux de ces démonolâtres, et les bûchers flambèrent si bien que la contrée devint déserte. Dans les dépositions citées par Nider dans son Mallens maleficorum, on voit apparaître pour la première fois cette fameuse graisse des sorcières qui plus tard aura tant d’importance dans les procès pour cause de magie, onguent diabolique dont il suffit de se frotter le soir pour être initié à tous les mystères des royaumes inférieurs et pour assister aux fêtes du sabbat. Il est certain que la médecine des « bonnes femmes n’était fort en vogue à cette époque, que les