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corps brillans, — il affirme que les loups-garous se mentent à eux-mêmes lorsqu’ils prétendent se changer en fauves pour courir la nuit, — il soutient que les stryges, ces sorcières mangeuses d’enfans, s’abusent lorsqu’elles racontent leurs horribles repas. La preuve qu’il donne est si simple qu’elle eût dû frapper tous les esprits qui n’étaient point systématiquement prévenus : les morts qu’on dit avoir été déterrés sont dans leurs tombeaux, on peut le vérifier ; les enfans qu’on dit avoir été dévorés sont vivans, les voilà; on n’a qu’à prendre une sorcière, l’attacher sur un lit, la faire garder à vue; si elle s’endort, elle n’en soutiendra pas moins qu’elle a été au sabbat, et cependant son corps n’aura point quitté le matelas sur lequel il est fixé. Wier dit courageusement le nom de la maladie nerveuse et mentale dont ces malheureux souffrent tellement qu’ils essaient très fréquemment d’y échapper par le suicide, c’est l’hystéro-démonopathie. Que répondit-on à cette démonstration péremptoire? Que Satan est le malin, que les morts paraissent être dans leurs tombeaux, que les enfans dévorés paraissent vivans, que la sorcière paraît présente sur le lit où elle a été garrottée; mais que ce ne sont là que des apparences suscitées par le diable, propres à tromper les yeux des ignorans, à raffermir l’impiété des incrédules, et qu’en réalité les morts ont été déterrés, les enfans mangés, et que la sorcière a été au sabbat.

Cependant un peu de clarté se fait : la science va se débarrasser peu à peu de la gangue où elle est enfermée depuis si longtemps. C’est l’heure des grandes entreprises; l’imprimerie multiplie la pensée, le Nouveau-Monde vient de se révéler, la réforme essaie d’épurer une religion qui retombe au paganisme, Galilée sent la terre se mouvoir sous ses pieds, et Keppler ouvre le ciel. On peut croire que le diable va enfin rentrer aux abîmes, que la loi du Dieu de douceur et de pardon va régner, que la maladie ne sera plus traitée comme le crime ; vaine espérance ! Les femmes de la famille Médicis ont envahi la France, suivies d’une armée d’astrologues, de nécromanciens, de médecins, disciples de Locuste, de diseurs de bonne aventure et de chercheurs de l’élixir de longue vie. C’est le temps des maléfices, des sortilèges, des envoûtemens. Quelque déconsidérées qu’elles fussent par les esprits sérieux de l’époque, ces sottises n’étaient point disposées à mourir; avant de disparaître, elles allaient bouleverser la France et se donner en spectacle comme des farces de tréteaux qui auraient un dénoûment sinistre.

Le grand siècle, le siècle de Richelieu[1] et de Louis XIV, est

  1. Le cardinal de Richelieu pourrait figurer dans cette étude à titre de fou, si l’on en croit la princesse Palatine, qui a écrit, en date du 5 juin 1716 : « Le cardinal de Richelieu, malgré tout son talent, a eu de grands accès de folie; il se figurait quelquefois qu’il était un cheval; il sautait alors autour d’un billard en hennissant et en faisant beaucoup de bruit pendant une heure et en lançant des ruades à ses domestiques; ses gens le mettaient ensuite au lit, le couvraient bien pour le faire suer, et quand il s’éveillait, il n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé. » Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, édit. Brunet, t. Ier, p. 240.