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actuellement directeur-médecin de l’asile de Ville-Évrard, envoyé en inspection dans la maison de Fontenay-le-Comte (Vendée), trouve quinze femmes et vingt hommes nus, enchaînés dans les loges.

Néanmoins un principe avait été posé, et il fallait en déduire les conséquences. Pour la séquestration des aliénés, on se heurtait à chaque pas contre des difficultés sans cesse renaissantes, car la matière n’était réglée que par des arrêtés de police ; de plus aucun établissement spécial n’avait été construit pour les abriter, ils étaient emprisonnés dans les hospices et plus souvent encore confondus avec les criminels dans les maisons de détention. Un tel état de choses appela enfin l’attention du gouvernement. En 1835, une enquête permit de constater officiellement les abus dont les aliénés avaient à souffrir et les besoins qu’il était urgent de satisfaire. Un premier projet de loi présenté le 6 janvier 1837 ne fut pas accueilli avec faveur; il fut remanié, communiqué aux conseils-généraux qui donnèrent leur avis motivé, et ne devint loi que le 30 juin 1838; une ordonnance royale du 18 décembre 1839 en détermina la portée et l’application. Les décrets du 25 novembre 1848, du 18 janvier 1852, du 20 mars 1856, établirent un service d’inspection générale pour les maisons d’aliénés et réglèrent l’organisation intérieure des asiles. La loi de 1838, excellente dans ses dispositions fondamentales, fonctionna sans encombre et à la satisfaction des intéressés pendant une vingtaine d’années; puis tout à coup, sans motifs sérieux, elle fut attaquée et battue en brèche avec une violence excessive; on parla de séquestrations arbitraires, de dénis de justice, de lettres de cachet, et l’on rajeunit de vieilles calomnies plus ridicules encore que méchantes. De cette question des aliénés, qu’on n’aurait jamais dû soulever, car elle avait été résolue avec un grand souci de la justice, on fit une arme d’opposition quand même, sans réfléchir qu’on incriminait d’un seul coup deux administrations pleines de bon vouloir envers les malheureux et un corps médical qui a donné trop de preuves d’intégrité pour ne pas mériter d’être à l’abri du soupçon. Le résultat a été funeste, car, pendant que tous les intéressés, si injustement accusés, cherchaient à mettre leur responsabilité à couvert, c’est l’aliéné, c’est le malade qui a pâti.

On s’est servi d’un mot à l’aide duquel il est facile de passionner les esprits en France ; sur tous les tons on a parlé de la liberté individuelle. La liberté individuelle est sacrée, elle est à la fois la sauvegarde du citoyen et celle de l’autorité; mais elle ne doit être protégée qu’à la condition expresse de ne point porter atteinte à la liberté collective : or il n’y a pas de fou, si paisible, si éteint, si déprimé qu’il soit, qui à un moment donné, sous l’influence subite