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1838 a déjà édictées, on dégagerait la responsabilité du médecin aliéniste.

Les adversaires de la loi ne se contentent pas d’incriminer le mode de placement, ils en arrivent à condamner l’isolement qui est imposé aux aliénés, dans leur intérêt et dans l’intérêt d’autrui. C’est cependant le moyen thérapeutique le plus efficace que l’on ait encore découvert; le changement d’état et de milieu, la rupture des habitudes prises, l’éloignement des parens, trop souvent disposés à mettre en action les rêveries d’un cerveau malade « pour ne pas le contrarier, » suffisent seuls, dans bien des cas, à ramener un calme relatif dans les esprits surexcités.

Il faut généraliser les fous, et l’on y arrive aisément par la discipline d’un régime uniforme; lorsqu’ils restent dans leur famille, ils sont individualisés outre mesure, on leur obéit, on va au-devant de leurs désirs; voyant que leurs chimères sont écoutées, ils ne font aucun effort pour se reprendre à la réalité. Plus ils se sentent loin des leurs, plus ils essaient de se dominer pour s’en rapprocher. Willis raconte que dans l’établissement qu’il avait fondé en Angleterre les malades étrangers guérissaient plus vite que les autres en raison même de l’isolement bien plus complet où l’éloignement de leur pays et souvent leur ignorance de la langue les avaient placés. Il est un fait irréfutable qu’on a bien souvent constaté : les malades qui ont été guéris dans une maison de santé, et qui sont atteints par une rechute, courent d’eux-mêmes et au plus vite dans l’établissement où déjà ils ont été soignés, tant ils comprennent le bienfait de cette vie pénible, il est vrai, douloureuse parfois au-delà de toute expression, mais qui du moins discipline l’âme, soigne le corps, neutralise les tentatives de suicide, empêche les crimes et peut ramener à la raison.

Veut-on savoir où la séquestration, dans le mauvais sens du mot, se produit le plus fréquemment? Dans la famille. Au début de la maladie, on a voulu garder l’aliéné, on l’a entouré de soins; par suite d’un sentiment de honte mal entendu, par économie peut-être, on a rejeté loin la pensée de le déposer dans un de ces établissemens spéciaux, où les malades trouvent de larges jardins et des soins appropriés. On s’est lassé de voir que l’on n’arrivait à aucun résultat, on a perdu patience devant l’irritabilité d’un pauvre être que tout exaspère, on l’a rudoyé, maltraité, on l’a relégué dans un coin; pour qu’il ne pût nuire, on l’a attaché à un fauteuil fixé à la muraille, dans quelque réduit obscur de la maison. On lui jette une nourriture insuffisante, comme à un chien; on dit : Il est si méchant, au lieu de dire : Il est si malade! S’il crie, on le bâillonne; il croupit dans ses ordures, dans sa vermine, et d’une créature vivante,