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soit dans un local loué à cet effet. Dans aucun cas, les aliénés ne pourront être ni conduits avec les condamnés ou les prévenus, ni déposés dans une prison. » En 1869, un ouvrier fut subitement frappé d’un accès de folie aiguë dans une petite ville du département de l’Eure ; en attendant qu’il pût être conduit à l’établissement d’Évreux, il fut déposé à la prison. Le fait en lui-même n’a rien de grave, le malade était seul, enfermé, et il reçut tous les soins nécessaires; mais il est toujours mauvais de manquer au texte précis d’une loi. C’est cependant ce que nous avons vu à Paris depuis 1838 jusqu’au 1er janvier 1872. Faute d’un local quelconque dans lequel on pût provisoirement isoler les aliénés qu’on amenait chaque jour à la préfecture de police, celle-ci, qui ne tient pas les cordons de la bourse et qui, en matière de dépenses, est toujours obligée d’attendre le bon plaisir du conseil municipal, en était réduite, malgré ses incessantes réclamations, à faire interner les fous au dépôt. Elle les séparait avec soin des prévenus, elle réservait pour eux ses meilleures cellules; mais elle n’en donnait pas moins cet exemple singulier d’une administration spécialement chargée de veiller à la stricte exécution de la loi, et qui y manquait la première d’une façon flagrante. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi; cet état provisoire, qui n’a duré que trente-quatre ans (c’est peu en France, où le définitif seul est transitoire), a pris fin récemment.

La reconstruction du Palais de Justice et de la préfecture de police avait amené la réédification du dépôt, sorte de geôle d’attente où l’on enferme momentanément les criminels, les prévenus, les vagabonds, en attendant qu’ils soient dirigés sur les prisons désignées. On y a annexé une infirmerie indépendante, ayant une entrée spéciale, un service particulier, et que surveille un employé du bureau de la préfecture, exclusivement chargé de tout ce qui concerne les aliénés. La loi est exécutée dans sa lettre et dans son esprit : les fous sont là chez eux, sans communication possible avec la population roulante du dépôt. Des cellules réservées aux aliénés occupent le rez-de-chaussée, où s’ouvrent aussi le cabinet du médecin délégué et celui de l’employé. C’est triste, propre et froid. Un gardien se promène incessamment devant les cellules, dont le guichet est toujours entre-bâillé. Il veille à ce que les aliénés ne se blessent pas dans leurs mouvemens furieux, il leur donne à boire, et ne répond guère à leurs divagations; il me disait qu’il aimait mieux avoir vingt fous à garder qu’une seule folle. Au premier étage, un dortoir de sept lits est destiné aux infirmes qu’on envoie à Saint-Denis ou à Villers-Cotterets; un autre dortoir également de sept lits est consacré aux enfans qu’on doit conduire à l’hospice des enfans assistés. Une pharmacie