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cités publiques analogues à celles-ci, et qui résultent d’un défaut manifeste de pondération dans les facultés mentales.

Sans entrer dans des détails qui appartiendraient à un travail exclusivement scientifique, sans parler non plus de cette vie à outrance de Paris, qui débilite le système nerveux en le surexcitant, on peut constater une cause qui s’accentue chaque jour davantage et qui produit des perturbations mentales passagères d’abord et d’une violence excessive, puis chroniques et enfin permanentes. Cette cause redoutable, qu’il faudrait combattre par tous les moyens possibles, c’est l’alcoolisme, dont le docteur Jolly entretenait déjà l’Académie de médecine en 1866. Le péril signalé s’est aggravé et décuplé par les circonstances douloureusement exceptionnelles que Paris a traversées depuis deux ans; il constitue aujourd’hui une sorte de péril social pour lequel ou ne saurait trop se hâter de chercher le remède. La période d’investissement et celle de la commune ont eu à cet égard une influence désastreuse sur la population ouvrière; pendant le siège, elle buvait plus qu’elle ne se battait, et sous la commune, on lui donnait à boire pour qu’elle allât se battre. À ces deux époques, dans l’espace de neuf mois, Paris a absorbé, en vins et en alcools, cinq fois l’équivalent d’une consommation annuelle. On arrive promptement ainsi au delirium tremens; nous en avons la preuve par les ruines entassées par l’accès de pétrolomanie alcoolique dont Paris, qui semble déjà l’avoir oublié, ne se relèvera pas de sitôt. Plus d’une des brutes qui ont ordonné d’incendier notre ville avait passé par les établissemens d’aliénés, et y retournera; plus d’un des malheureux qui leur ont obéi s’y trouve actuellement.

Ce n’est point leur faute si l’infirmerie spéciale nouvellement ouverte n’a pas été dévorée par les flammes, ils ont fait ce qu’ils ont pu pour la détruire : les pierres de taille ont résisté et les aliénés malades trouvent du moins un lieu tranquille où ils peuvent attendre l’heure d’être envoyés à l’asile qui les attend. Là on ne les nomme ni des fous, ni des aliénés; tant que le médecin ne s’est pas prononcé sur leur état, on les appelle des présumés; présumés atteints d’aliénation mentale. Il en vient beaucoup; deux cent un dans le seul mois de mai dernier, c’est-à-dire six et demi par jour. Sur ce nombre, deux seulement ont été reconnus sains d’esprit; c’étaient fort probablement deux ivrognes qu’une nuit de calme avait momentanément rappelés à la raison; on peut supposer qu’ils sont revenus dans le mois de juin. Chaque jour, un des deux médecins spécialistes commissionnés par la préfecture de police se rend à l’infirmerie, il prend connaissance des dossiers envoyés par le commissaire et reçoit les malades isolément, l’un après l’autre. J’ai assisté à cette visite, et il ne fallait pas une grande perspicacité pour