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y a porté la fougue et la fureur du fanatisme. Là il y eut un chef dévoué, objet à son tour d’un dévoûment sans limites : c’était Henri de Guise, dont la maison tout entière était l’idole de la population parisienne. La lutte religieuse se personnifiait, dès le milieu du XVIe siècle, dans la rivalité des maisons de Guise et de Bourbon. La relation de l’ambassadeur vénitien, M. A. Barbaro, en 1565, est à cet égard un monument intéressant à l’appui de tant d’autres[1], et l’opinion publique, en ces premiers temps, était peu favorable aux Bourbons ; on les accusait d’exploiter la réforme pour ruiner les Guises. La conjuration d’Amboise fut leur ouvrage et coûta la vie à bien des victimes; mais les Guises, qui n’avaient eu d’abord que l’ambition de la fortune, de la puissance et du crédit, conçurent une ambition de plus, celle du trône, sous Henri III. Tout les y conviait. Nous avons dit ailleurs[2] quels furent les services que rendirent Claude et François de Guise à la France, sous Henri II. Le siège de Metz et la prise de Calais avaient enivré toute une génération. Marie Tudor disait en mourant : Si l’on m’ouvrait le cœur, on y verrait gravé le nom de Calais; la reprise de Calais par la France lui coûta la vie, et du même coup le trône d’Angleterre à Philippe II (1558). Lisez Brantôme : rien n’égala l’enthousiasme de la société française pour les Guises. La jalousie de leur grandeur jeta beaucoup de grande noblesse dans le parti de la réforme, à la suite des Bourbons. Le cardinal de Lorraine avait été l’un des personnages les plus considérables de son temps; il avait mené le concile de Trente, tout en y défendant noblement la nationalité du catholicisme français. Sa générosité était fabuleuse, comme celle de tous les siens[3]. Un jour à Rome, il remplit d’or la main ouverte d’un mendiant. « Vous êtes le bon Dieu ou le cardinal de Lorraine, » lui dit le pauvre stupéfait. Les Guises possédaient les charges les plus importantes de l’état, les gouvernemens de provinces les plus influens. Un moment, ils avaient eu toute l’administration du royaume en leurs mains; ils jouissaient d’immenses bénéfices. Ils comptent sur leur puissance, disait un ambassadeur vénitien, non-seulement pour payer leurs dettes, qui sont énormes, mais encore pour en faire de nouvelles, et promettent des fortunes à tout le monde. Nous avons parlé de la somptuosité de leur palais; leur état de maison était à l’avenant; en 1552, on voyait journellement près

  1. Voyez les Relations des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 57 et suiv., dans les Monumens inédits.
  2. Voyez le Siège de Metz, dans la Revue des Deux Mondes, 1870.
  3. Le duc de Mayenne passait pourtant pour avare. Il fit enlever de force une jeune et riche héritière qu’il destinait à l’un de ses fils. Ces rapts étaient de mise alors dans la noblesse, et l’usage s’en est conservé jusque sous Louis XIV, témoin celui de Bussy et de Mme de Miramion.