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que De Thou, Henri de Rohan, a-t-il jugé Henri de Guise avec la sévérité du politique, dans un écrit trop peu. connu où la plume facile du grand seigneur se donne un libre champ[1]. « Henri, duc de Guise, dit-il, succédant à un père et à un oncle grands personnages en la conduite des affaires, et ne se sentant leur inférieur ni en courage, ni en vertu, se met en l’esprit le dessein le plus relevé qu’un homme né sujet puisse entreprendre, savoir d’usurper la place de son roi. Il a déjà cet avantage de profiter du labeur de son père, étant chose très difficile que la vie d’un homme puisse suffire à telle mutation. Il rencontre un roi sans enfans, et de l’humeur de ceux sous lesquels se peuvent mener pareils desseins ; il trouve un royaume déchiré par les factions, et attaqué de la plus dangereuse de toutes les guerres civiles, qui estoit pour la diversité des religions. Il voit les premiers princes du sang dans la faction la plus foible, un puissant roi d’Espagne prêt d’assister ceux qui brouillent la France, et les papes intéressés de poursuivre par toutes voies les protestans. Il estoit bel homme, adroit, courtois, libéral, vaillant. Il emploie tous ces dons de la nature à s’insinuer parmi les grands, la noblesse et les peuples; il se montre zélateur de la religion catholique, non hantant les cloistres, ni se promenant parmi les rues en procession, mais en persécutant les protestans et se montrant leur capital ennemi. Il emploie les prêcheurs pour se mettre en vénération parmi les peuples, et pour faire déclarer le roi un fauteur secret d’hérétiques, un hypocrite, un vicieux, un fainéant; tellement que, par tels moyens, il avoit élevé son entreprise au dernier échelon, quand sur le point de l’exécution il manqua lourdement à son intérêt et à lui-même, qui fut en ce que, après avoir chassé son roi de sa capitale, après avoir levé les armes contre lui, et puis s’en être accordé comme avec son égal, il lui fia sa vie en mal avisé, alors qu’il complotoit sa déposition, son affaire n’étant pas de celles qu’il soit permis de faillir deux fois.»

Et en effet ce roi maudit, qui semblait n’avoir agi qu’en fauve désespéré dans le meurtre de Blois, avait par ce coup violent atteint une des racines principales du tronc menaçant de la ligue, sans profit immédiat pour lui en apparence, mais en vérité avec toute chance de sauver la dynastie capétienne dans l’avenir prochain de la vacance du trône. Le duc de Guise ne laissait que des enfans en bas âge, et le frère qui le suivait, le duc de Mayenne, était incapable de le remplacer, quoique doué de grandes qualités. Une relation contemporaine dit de Mayenne qu’il n’y avait pas de plus beau prince au monde. Il était grand, bien fait de sa personne, avait le

  1. Voyez les Discours politiques du duc de Rohan; et Buchon, t, XVIe de sa collection de Chroniques, p. 424.