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le régicide, qui désignaient les victimes à immoler, qui faisaient pendre le président Brisson et les otages; la peur conduisait alors les timides au sermon, comme elle les conduisit plus tard aux séances des jacobins ou à la décade. C’est du couvent des jacobins de la rue Saint-Jacques que partit Jacques Clément, endoctriné par son supérieur; c’est dans d’autres couvens que s’armèrent les bras de Barrière et de Jean Chatel. La fureur démagogique des moines ne respecta rien ni personne, et Sixte-Quint lui-même, accusé de modérantisme, fut signalé par les prédicateurs à la haine des catholiques. « Mes frères ! s’écriait un jésuite espagnol, non-seulement la république de Venise favorise les hérétiques, mais... silence, silence ! ajoutait-il en mettant le doigt sur la bouche, le pape lui-même les protège. » Bernard Rouillet à Bourges acquit une réputation par ses sermons contre le pape, et, quand Sixte mourut, ce qui arriva dès l’an 1590, les prêtres ligueurs de Paris firent des feux de joie; le fameux Aubry l’annonça aux fidèles en ces termes: « Dieu, mes frères, nous a délivrés d’un méchant pape et politique. S’il eût vécu plus longtemps, on eût été bien obligé de prêcher dans Paris contre le pape, et nous n’aurions failli le faire[1]. » Mayenne lui-même n’était plus le maître de ces atroces insensés, qui ont compromis la cause catholique par leur démence, et qui sont devenus insupportables à ceux qui portaient le poids des affaires de la ligue. On laisse à penser ce que purent être les états convoqués à Paris par le gouvernement des Guises et appelés à siéger dans une semblable fournaise. Aussi la question du déplacement de la capitale se présenta à cette époque à beaucoup d’esprits, et les villes de province comme Tours, qui avaient vu siéger la royauté dans leur belle vallée, aspiraient à la posséder encore[2].

Telle se dessinait la situation des affaires de l’église en France après les meurtres de Blois et de Saint-Cloud; tel était à ce moment le résultat de la grande réaction catholique du XVIe siècle et des engagemens pris par Grégoire XIII : situation fausse, intolérable pour un pape comme Sixte-Quint, obligé par son état à combattre l’hérétique Henri de Navarre, obligé par la raison à faire des, vœux pour son triomphe, qui était celui du bon sens, le maître suprême et définitif des affaires humaines ; forcé comme chef de la catholicité

  1. Voyez les Mémoires de Nevers, t. II, p. 709, et Ch. Labitte, la Démocratie de la ligue, p. 159-160. — Rien n’égale la liberté de langage des ultramontains contre les papes lorsqu’un de ces derniers manque aux injonctions du parti. Les invectives de Joseph de Maistre contre Pie VII sont fabuleuses. Voyez sa Correspondance parfaitement authentique publiée en 1858, p. 137 et 138. Baronius avait traité à peu près de même Gerbert, devenu Sylvestre II, — et Clément XIV, comment a-t-il été traité par les amis des jésuites! Voyez l’histoire de ce pape par le père Theiner.
  2. Voyez ce curieux détail dans Palma Cayet, t. Ier, p. 55 de l’édit. de Buchon.