Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est importé dans un pays par des agglomérations qui l’ont contracté dans un autre pays; mais la transmission n’est pas directe. Un cholérique déterminé ne transmet pas le mal à telle ou telle personne qui à son tour le communique à une autre, et ainsi de suite. Les premiers malades qui arrivent dans une localité indemne infectent l’atmosphère locale, et c’est dans cette atmosphère infecte que se multiplient les germes de l’épidémie, qui fera plus ou moins de victimes; mais celles-ci peuvent se trouver aussi bien parmi les gens qui se sont le plus tenus à l’écart que parmi ceux qui ont approché les cholériques. Fort peu de médecins succombent en soignant ces derniers. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler à ce sujet notre expérience personnelle et les observations que nous avons faites durant l’épidémie de 1865, en compagnie de MM. Legros et Goujon, dans le laboratoire de M. Robin, à l’école pratique de la Faculté de médecine. Occupés pendant plusieurs mois, et sans nous entourer d’aucune précaution, à manier et à étudier de toute façon du sang et des déjections de cholériques, nous n’en avons éprouvé aucune influence délétère, aucun malaise. M. Sédillot nous a raconté que, pendant la campagne de Pologne (1831), il lui est arrivé plus d’une fois de coucher impunément sur du linge qui venait d’être quitté par des malades morts du choléra. Il est donc clair que celui-ci ne se transmet point par le contact d’individus ou d’objets contaminés. C’est l’air qui, dans une région plus ou moins limitée, est le réceptacle de la matière subtile et inconnue où réside le poison; nous disons le réceptacle et non le véhicule, car le germe cholérique qui se multiplie dans cette région ne tend pas spontanément à s’en éloigner. Ce qui l’entraîne au dehors et le propage au loin, ce sont les incessantes migrations de l’homme.

Les recherches de M. Tholozan ont mis hors de doute qu’indépendamment des quatre grandes épidémies, le choléra n’a presque jamais cessé, depuis 1830, d’exister en Europe à divers degrés d’intensité et sous des formes variables. Chez nous, comme dans l’Inde, il peut être épidémique, endémique ou sporadique. On a essayé, il est vrai, d’établir une distinction entre le choléra qui donne la mort à un grand nombre de personnes en même temps et celui qui ne fait que des victimes isolées[1]; au fond les deux maladies ne présentent pas de différences spécifiques. La première, quand elle a consommé son œuvre, s’assoupit et s’éteint en apparence, mais elle ne cesse pas de trahir çà et là sa présence à des intervalles plus ou moins rapprochés.

  1. Ce dernier a reçu le nom de choléra nostras, par opposition à celui de choléra asiatique.