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La royauté nouvelle héritait naturellement des palais et des nombreuses maisons de plaisance qu’avaient élevés plusieurs générations de landgraves, presque tous marchands d’hommes, mais tous passionnés pour les arts et les bâtimens. A Cassel, c’était le palais de l’Orangerie avec son splendide bain de marbre, qu’un sculpteur français, Monnot, éleva de 1692 à 1728 pour le landgrave Carl. Les statues et les bas-reliefs en marbre de Carrare offrent un choix de sujets mythologiques que n’eussent pas désavoué les plus raffinés épicuriens de la Rome impériale : Europe enlevée par Jupiter, l’indiscrétion d’Actéon, Diane découvrant la faute de la nymphe Calisto, etc. On a toujours mené joyeuse vie dans le palais des landgraves : les Allemands peuvent-ils être si sévères pour la nouvelle cour, qui n’aurait fait, après tout, que suivre les traditions de l’ancienne? Mais la plus magnifique des résidences électorales, c’est Wilhemshœhe. Qu’on imagine un château de la renaissance, avec toutes les élégances de l’art italien, dans un des sites les plus pittoresques de l’Habichtswald, au milieu d’une forêt de sapins solennels comme des piliers de cathédrale, parmi les rochers, les précipices et les senteurs résineuses, dans une solitude à tenter un fondateur de chartreuse. Le Versailles hessois a un double avantage sur celui de Louis XIV : il est à la fois plus solitaire et plus rapproché de la capitale; mais il témoigne chez les anciens maîtres du pays d’un despotisme autrement impérieux que celui du grand roi. Le château des Géans, qui derrière le château d’habitation se dresse au sommet de la hauteur, avec sa pyramide et sa statue colossale de l’Hercule Farnèse, avec ses escaliers de 842 marches, ses immenses cascades de 100 mètres de longueur, ses précipices artificiels qui donneraient pourtant le vertige, cet entassement inutile et prodigieux de blocs énormes semble appartenir à l’Orient plutôt qu’à l’Europe. Si les Nemrod et les pharaons avaient eu à bâtir des donjons, c’est dans ces proportions qu’ils auraient travaillé. La colline disparaît sous ces masses de granit, naturellement ou artistement brut : beaucoup de ces blocs ont deux fois la hauteur d’un homme; on dirait les alignemens de Carnac à l’assaut de cette colline de 300 mètres de hauteur.

Le landgrave était revenu d’Italie, résolu à rivaliser avec les cascades de Tivoli et à éclipser, à force de labeur, les merveilles de la nature. De la pyramide, de l’Hercule en cuivre forgé, qui, vu de la plaine, paraît une statuette, et qui peut loger sept ou huit personnes dans une de ses jambes, on a une vue splendide sur la Hesse. De là les landgraves voyaient à leurs pieds leur capitale, et embrassaient du regard une immense étendue de leurs états : c’est la seule utilité de cette construction; le massif château des Géans n’a pas été fait pour être habité. Que de journées de travail ce ca-