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supérieure, qui, placée à l’instruction publique, c’est-à-dire hors de la question, continue à tout approuver ou à tout laisser faire. Nous disions dernièrement que la troupe actuelle pourrait encore rendre des services; oui certes, mais à la condition d’être employée à monter des ouvrages nouveaux sous la direction de leurs auteurs, qui lui imprimeraient une force d’ensemble et de cohésion dont elle a grand besoin, et c’est toujours dans des reprises qu’on nous la montre comme pour l’exposer aux plus écrasantes comparaisons.

En outre voilà maintenant que cette troupe se dédouble, et qu’on met en avant les seconds sujets alors que, même avec les chefs d’emploi, la partie ne serait déjà point trop belle. Ainsi, dans cette reprise du Prophète, pourquoi Mlle Bloch quand on avait Mme Gueymard? pourquoi Mlle Arnaud quand on avait Mlle Mauduit? L’intérêt de la soirée, nous le savons, se portait tout entier sur Jean de Leyde, qu’avait choisi M. Sylva comme rôle de second début; était-ce donc une raison pour négliger l’ensemble, qui n’a pas été ce qu’il aurait pu être? L’œuvre de Meyerbeer s’en allait tiraillée de tous côtés, et c’était comme un immense ennui qui s’exhalait de cette grande musique exécutée de la sorte, sans entrain et sans conviction. Il faut toujours que les faiblesses d’un homme aient leur châtiment. Meyerbeer avait ce travers de prendre la mesure de ses rôles sur des sujets exceptionnellement doués, incarnant son idéal dans le virtuose qui posait devant lui, se préoccupant jusqu’à la superstition d’un timbre de voix particulier ou d’un détail de mise en scène. Qu’il obtînt par là tout ce que le moment pouvait donner de satisfaction à sa dévorante soif de succès, cela se conçoit aisément, mais ces prodiges d’exécution achetés par des prodiges de persévérance, d’obstination, ne devaient durer qu’un temps, et ne se retrouveront pas, ce qui lui faisait dire avec mélancolie : « Nous ne reverrons plus le premier ensemble des Huguenots. » En effet, dans de telles conditions d’enfantement, la première exécution est toujours la meilleure, celle-là seule rend tout; plus tard apparaissent les défauts, les lacunes. La musique de Mozart s’éclaire elle-même, vous la jouez au piano, et c’en est assez pour qu’elle vous livre tous ses trésors; la musique de Meyerbeer compte beaucoup sur son appareil théâtral, spécule sur l’âme et la voix du chanteur, en veut à sa pantomime, à son costume, et lorsque dans le système quelque chose vient à manquer, vous avez des représentations comme cette reprise du Prophète, des soirées qui, sans renverser de fond en comble votre admiration, en ébranlent fort l’édifice.

Mais n’allons pas trop loin, et qu’une impression défavorable ne nous rende pas injustes envers les beautés de l’ouvrage, ce finale du troisième acte par exemple et son admirable prosopopée, qui jaillit du sein des masses harmoniques en éblouissante irradiation. Quel enthousiasme dans ce début et quelle habileté de déduction quand le