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parmi ces voix trop souvent, hélas! réfractaires au ton et à la mesure; mais le Pré aux Clercs a ses lendemains, et quand on joue Zampa, force est aux amis du pauvre Hérold de reconnaître que pour eux ce n’est pas tous les jours fête ! L’exécution d’Haydée vaut à peu près celle de Zampa. Dans l’une comme dans l’autre de ces deux partitions, la musique dépasse les conditions ordinaires du genre, et si l’Opéra semble avoir rencontré son ténor, l’Opéra-Comique cherche toujours le sien. L’absence de M. Capoul produit un vide irréparable. Comment faire cependant, si M. Capoul, mis en goût par ses succès de Londres et d’Amérique, ne veut plus désormais que du répertoire italien? La concurrence que l’étranger nous oppose finira par rendre nos théâtres impossibles; voilà maintenant que le Nouveau-Monde vient peser sur notre marché de tout le poids de ses dollars. Un million pour une tournée en Amérique, ou 500,000 francs, s’il vous plaît de ne point sortir d’Europe et d’exercer votre art en vous promenant de capitale en capitale, c’est généralement le prix dont se paie aujourd’hui la virtuosité de choix! Que peut à cela répliquer un modeste directeur de l’Opéra ou de Favart? Quel argument fera-t-il valoir à son profit? Le patriotisme? Assurément, selon les bienséances, cet argument devrait avoir quelque prise sur MM. Faure et Capoul, que notre Conservatoire a formés, que la France a produits, lancés et consacrés : sur les talens exotiques, il reste sans crédit. Aussi n’est-ce point par ce côté que nous voudrions que la question fût discutée, et, laissant le point de vue sentimental et philosophique, nous aimerions à n’envisager que l’intérêt même du chanteur, son propre avantage dans le présent et l’avenir. Nous demanderions par exemple à M. Faure si le million qu’il se prépare à s’en aller chercher en Amérique le récompensera des traverses innombrables auxquelles il s’expose. En jouira-t-il seulement de ce million gagné au prix de tant de périls, de servitudes, d’exhibitions foraines? On sait ce qu’on quitte, on ignore ce qu’on trouvera, et ne valait-il pas mieux prolonger sa carrière en se contentant des gros appointemens que donnait l’Opéra? C’est l’éternelle histoire de l’homme qui court après la fortune et de l’homme qui l’attend chez lui, en famille, applaudi, choyé d’un public qui l’apprécie à son mérite et sait distinguer jusqu’aux moindres nuances de son talent. Il semble que, si quelque chose devrait dégoûter un chanteur de cette vie errante et vagabonde, c’est l’exemple de Mario. Pauvre illustre ténor, usé, vieilli dans les aventures! de tant de trésors cherchés au loin, roubles de Saint-Pétersbourg, onces d’Espagne, écus, florins, ducats, livres sterling, que lui reste-t-il à cette heure? Moins nomade, peut-être eût-il mieux administré sa fortune. Penser qu’à son âge, à l’âge sonné de la retraite et du repos, il en est à s’embarquer pour de nouvelles migrations ! Où le mène-t-on? A la conquête du million légendaire, le reste lui importe peu; c’est à l’entrepreneur Strakosch de fixer l’itinéraire. On