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matin à sept heures du soir, le théâtre d’une lutte sanglante qui finissait par se concentrer au château. Un moment dans la journée, nos bataillons avaient semblé faiblir, et il n’avait fallu rien moins que l’arrivée de Bourbaki lui-même sur le terrain pour rallier ces jeunes troupes électrisées tout à coup par ce brillant courage, par l’impétueux capitaine qui se portait au feu en s’écriant d’un accent vibrant : « À moi l’infanterie ! Est-ce que l’infanterie française ne sait plus charger ? » Chefs et soldats, tout cédait aussitôt à cette inspiration guerrière, à cet éclat de commandement ; on revenait au combat, et Villersexel restait définitivement en notre possession. La lutte avait été meurtrière, plus meurtrière qu’on ne l’avouait au camp de Werder. C’était évidemment un succès enlevé avec vigueur par nos soldats, surtout par leur chef ; mais en même temps ce succès entraînait une perte de près de quarante-huit heures très profitable à Werder, qui, en étant battu, avait du moins obtenu l’avantage de troubler la marche de l’armée de l’est et de gagner un peu de temps pour se replier sur des positions habilement choisies où il allait nous attendre. Le 13 janvier, on était encore arrêté autour d’Arcey ; on se battait de nouveau assez vivement. Le 14 au soir enfin, on allait coucher sur les hauteurs de la rive droite de la Lisaine, faisant face aux collines de la rive gauche, qui protègent les approches de Belfort, et où les Allemands arrivaient de leur côté.

Pourquoi le général Bourbaki, au lieu d’aborder de front avec toutes ses forces les positions redoutables qui couvrent la Lisaine, ne s’était-il pas porté, comme il en avait été question, sur Vesoul et Lure, de façon à tourner Belfort ? Il avait peut-être une raison assez grave : c’est que le chemin de fer de Gray à Vesoul n’était point encore rétabli, et ne pouvait servir à nourrir une armée entière, c’est que tous les approvisionnemens étaient accumulés sur le Doubs, à Clerval, dernière station où l’on pouvait arriver par le chemin de fer venant de Besançon. Même en se tenant à proximité de Clerval, on avait la plus grande peine à vivre, tant les transports étaient devenus difficiles. Les chevaux s’abattaient sur le verglas qui couvrait les chemins, un accident survenu à un attelage suspendait la marche de tout un convoi. Si l’on s’était porté un peu loin de la ligne de ravitaillement, on se trouvait exposé à mourir de faim ; des partis de uhlans lancés à propos pouvaient ajouter au trouble des communications. Pourquoi du moins le général Bourbaki ne se pressait-il pas davantage et ne gagnait-il pas les Allemands de vitesse sur la Lisaine ? Un peu sans doute pour cette même raison des approvisionnemens. Sur toute la route, on avait été arrêté par la difficulté de suffire aux besoins de l’armée. À Villersexel, on n’avait perdu près de deux jours que pour attendre des